Droit dans le mur

Krištof Kintera, fils spirituel de Jean Tinguely, expose à Bâle son travail politique et caustique fait de bric, de broc et de chocs. Chez lui, une poussette blindée aux motifs camouflage cohabite avec des palmiers faits en canettes de soda. La couleur de son humour est annoncée : noir.

I AM NOT YOU, affirme, en lettres capitales, l’artiste tchèque. S’il revendique sa singularité, nul doute que le plasticien né en 1973 se reconnaît des œuvres mécaniques de Tinguely créées à partir des déchets de notre société industrialisée. Le célèbre artiste suisse a mis en scène des machines bruyantes qui gesticulent inutilement, anticipant l’époque contemporaine semblant tourner frénétiquement à vide. Une grosse poignée d’années plus tard, Krištof Kintera propose de nous confronter à son installation nommée Revolution (2005) : un personnage se frappe violemment la tête contre la cloison qui l’empêche d’avancer, fissurant cette dernière et l’endommageant petit à petit à force d’acharnement. Brutale relecture du mythe de Sisyphe, effroyable vision d’un monde où l’on va droit dans le mur… Cet homme d’un mètre de haut est situé dans un recoin du musée, au bout d’un couloir, au sous-sol, laissant une drôle d’impression, un désagréable goût âcre au visiteur. Celui-ci est souvent secoué et pris à partie, notamment par un volatile bavard, un oiseau de mauvaise augure qui l’harangue dans l’espace central de l’institution. Pour accéder aux salles consacrées à l’exposition de Kintera, enfant terrible de l’art tchèque, il est d’ailleurs impératif de traverser une sorte de magasin discount bradant des produits bas de gamme, fringues hyper cheap et accessoires méga toc. Embusqués au milieu de ce capharnaüm balisé par des panneaux rouge vif indiquant “-50%”, des mannequins taille XS interpellent le chaland égaré dans ce micro-univers consumériste.

Jeux d’assemblages improbables, constructions low-tech, inventions vaines… le Pragois envahit l’établissement bâlois et son parc avec des œuvres, sculptures ou installations, tout droit sorties de l’esprit ingénieux et tortueux d’un Géo Trouvetou trash, oscillant entre séduction et répulsion. Avec les œuvres critiques de Kintera, on passe du rire (souvent jaune) aux grincements de dents, restant circonspect devant ce qui semble être un corps sans vie enroulé dans un drap, gisant au sol au milieu d’une flaque visqueuse, ou mi amusé, mi effrayé face à un individu diabolique affublé de cornes qui frappe inlassablement sur une grosse caisse tandis qu’un poste de radio diffuse des (mauvaises) nouvelles. « Je veux faire de la mort un jeu vivant » soutenait Tinguely plusieurs décennies avant le travail macabre de Kintera qui semble suivre cette voie. Sans issue ?

À Bâle, au Musée Tinguely, jusqu’au 28 septembre

+ 41 (0)61 681 93 20 – www.tinguely.ch

www.kristofkintera.com

vous pourriez aussi aimer