Désastres de la guerre

Weberzug Blatt © Käthe Kollwitz Museum Köln

Elle a documenté les catastrophes du XXe siècle à travers un corpus de gravures qui agit sur le temps. Quelque 170 œuvres jalonnent la rétrospective consacrée à Käthe Kollwitz au MAMCS.

La scène est terrible. Deux pieds semblent sortir du cadre et heurtent l’œil de l’observateur. Son regard glisse lentement, péniblement, sur des jambes nues, une jupe froissée, une tête renversée, un corps brisé se fondant dans les feuillages et les plantes écrasées. C’est seulement en scrutant très attentivement que l’on aperçoit, horrifiés, un jeune enfant au regard triste, derrière la clôture. Désolé, il fixe sa mère Violée (1907/08) gisant au sol. Planche issue de la série Guerre des paysans, cette eau-forte – avec des tailles de pointe sèche et autres interventions chimiques dont Käthe Kollwitz (1867-1945) avait le secret – illustre parfaitement la maestria d’une artiste au style « très sophistiqué », selon Estelle Pietrzyk. La directrice du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg évoque même « un moment de bravoure dans l’histoire de la gravure, grâce à l’incroyable technique d’une créatrice » utilisant encore du papier de verre, du vernis fait à base de sucre, de la craie ou des bouts de textile.

La Guerre des paysans © Käthe Kollwitz Museum Köln

Nie wieder Krieg
L’artiste allemande a « pris les deux Guerres mondiales de plein fouet », perdant un de ses fils (engagé volontaire) sur le front belge, en 1914. « Plus jamais », hurle dans la douleur cette pacifiste : « Un jour, un nouvel idéal naîtra, et ce sera la fin de toute guerre. C’est avec cette conviction que je meurs. Il faudra travailler dur pour atteindre ce but, mais il sera atteint. » Témoin engagée d’un monde en crise, à feu et à sang, elle affirme vouloir « agir dans ce temps », usant de sa virtuosité pour arme contre la barbarie. Afin de rendre son travail le plus visible possible, qu’il saute aux yeux, « elle utilise un important panel de possibles en gravure ainsi que de très grands formats, rares pour ce médium », insiste Hannelore Fischer, directrice du Musée Kollwitz de Cologne, co-commissaire de cette vaste exposition (estampes, mais également sculptures et dessins), aux côtés d’Alexandra von dem Knesebeck. L’historienne de l’Art salue également le geste parfois brutal de la plasticienne allant « très loin pour conduire la lithographie dans ses retranchements », devant la série Une Révolte des tisserands (1893-1897), dénonciation de la misère sociale des ouvriers évoquant le naturalisme de Germinal. Avec ce cycle, elle « s’éloigne de l’influence symboliste de Max Klinger pour s’ancrer dans le réel », noir comme l’encre. Le spectateur est secoué, révolté, accablé, à l’image de la femme tenant sa tête entre ses deux mains, devant le corps inerte d’un gamin, dans la litho nommée Misère.

© Käthe Kollwitz Museum Köln

Rester vertical
Käthe Kollwitz danse La Camargnole tandis que tonne le canon. Elle demeure vigoureuse lorsque la mort et le malheur emportent tout sur leur passage, même au décès de son petit-fils, Peter, en 1942 sur le front russe… Elle persiste à prendre des risques : artistiques, en combinant les techniques les plus complexes, et personnels en diffusant ses dessins grinçants dans la revue satirique Simplicissimus. En 1936, son impertinence militante de gauche imposera sa démission de l’Académie des Beaux-Arts de Prusse, lui coûtera une visite de la Gestapo et la menace de déportation en camp de concentration. Toujours, il s’agira pour elle de défendre « une nouvelle idée, celle de la fraternité entre les peuples. » Elle résiste et s’affirme en s’engageant en tant que femme, en s’imposant dans un milieu totalement masculin, notamment au sein de l’Académie, et se dresse, bien droite, contre le Sacrifice que l’on demande aux citoyens. Ainsi, sa gravure sur bois de 1922 montre une mère aveugle, le visage marqué, tendant son bébé vers les fracas du monde, le livrant en pâture à l’abject et absurde guerre qui oppose les peuples réduits à produire de la chair à canon. Les Graines de semence ne doivent pas être moulues, ordonne-t-elle en 1941 sous forme de lithographie. Un testament, une dernière volonté. Estelle Pietrzyk de glisser en guise de conclusion d’une exposition / devoir de mémoire : « Il n’est pas obsolète de parler, aujourd’hui, de cette difficile traversée de l’Europe. »

© Käthe Kollwitz Museum Köln
© Käthe Kollwitz Museum Köln

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Au MAMCS (Strasbourg), jusqu’au 12 janvier 2020
musees.strasbourg.eu

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