Danse et humour dans Je badine avec l’amour de Sylvain Riéjou
Sylvain Riéjou chorégraphie Je badine avec l’amour, concentré d’humour cinglant où il interroge son rapport à la danse en interprétant son propre rôle.
Sylvain Riéjou, nouvel artiste associé à Pôle Sud, monte une pièce chorégraphique pour quatre danseurs inspirée de ses questionnements sur la danse. Comment l’appréhender, en tant qu’homme homosexuel, lorsque les modèles transmis par la pop culture sont principalement hétéronormés ? De La Boum à Flashdance, en passant par Dirty Dancing, il réinvente des duos d’amoureux à travers plusieurs chansons de geste décalées. Sur une scène totalement nue, le voilà qui se glisse dans la peau de Jennifer Gray, alias Bébé, donnant la réplique à son complice masculin, Julien Gallée-Ferré, Johnny Castle des temps modernes. L’enregistrement de la ‘‘scène de la chambre’’ résonne alors : les voix françaises des personnages retentissent, jouées en playback par les deux interprètes. L’occasion de piquer la bien-pensance est trop belle. « Je fais la fille », annonce le chorégraphe. « Enfin, maintenant, dans les danses de salon, on ne parle plus de garçon ou fille, mais de leader et follower. C’est moins patriarcal », poursuit-il dans un sarcasme, avant de se laisser langoureusement tomber dans les bras de son partenaire, au rythme de Cry to me de Solomon Burke.
Clémence Galliard et Émilie Cornillot ne sont pas en reste. Quand arrive Unchained Melody des Righteous Brothers, bande originale de Ghost, c’est à elles de camper les rôles de Patrick Swayze et Demi Moore. Un moment jubilatoire pour qui aime critiquer les normes sociales, valeurs et injonctions arbitraires adressées au corps féminin. Alors que les deux comédiennes rejouent un baiser, l’une d’elles refuse d’aller au bout. « Ce n’est pas parce que je suis danseuse qu’on peut tout me demander », s’emporte-t-elle. Riéjou a beau avancer que cela fait partie de la scène, son acolyte n’en démord pas : s’il lui importe tant de respecter le matériau de base, pourquoi ne pourrait-elle pas se mettre torse nu, comme dans le film ? Ni une, ni deux, elle pousse la provoc et fait tomber le haut. Comme pressées par l’urgence de cacher ces seins que l’on ne saurait voir, les lumières s’éteignent brutalement. Les quatre interprètes laissent ainsi libre cours à leur exaspération, au rythme du puissant Requiem de Mozart, avant de calmer les choses. Espiègle, railleuse et pleine d’autodérision, la pièce montre avec une énergie débordante que l’on peut blaguer avec l’amour et les questions de genre, sans tomber dans le cliché.
À Pôle Sud (Strasbourg) mardi 8 et mercredi 9 octobre et à MA Scène nationale (Montbéliard) mardi 13 mai 2025
> Rencontre avec Sylvain Riéjou à l’Université de Strasbourg (Le Portique, 09/10, 12h30)