Corée graphique

Photo de Jean-Marie Chabot

Dans North Korea Dance, la charismatique et extravagante Eun-Me Ahn revisite l’art d’un pays fermé par un régime autoritaire depuis près de 70 ans.

À la naissance d’Eun-Me Ahn, le “Pays du matin calme” était déjà séparé de la République populaire démocratique de Corée depuis 10 ans. Autarcique jusqu’au pire, la dynastie communiste dirigée par les Kim en est depuis à son troisième guide suprême, Kim Jong-un. Loin, très loin de l’ouverture de son voisin du Sud dont la k-pop, le cinéma ou les géants des nouvelles technologies rayonnent dans le monde entier. Il fallait bien l’audace de l’enfant terrible de la danse coréenne, arborant son crâne rasé depuis près de 30 ans, pour se pencher sur les pratiques chorégraphiques en vigueur de l’autre côté de la frontière où, bien entendu, elle n’a jamais eu le droit de mettre le pied. Elle a fouillé sur Internet, compilé et scruté les spectacles folkloriques de masse chorégraphiés avec des centaines d’interprètes, mais aussi les parades militaires dont le régime raffole ou les vidéos de ces enfants singeant les adultes dans des performances incroyablement exigeantes avec un professionnalisme tout à fait… flippant ! Elle découvre aussi un art savamment entre- tenu de l’acrobatie et des danses de l’éventail très codifiées. Celle qui avait fait se mouvoir des grand-mères amatrices* détourne avec une joie manifeste ce riche folklore.

Photo de Jean-Marie Chabot

En uniformes entièrement dorés et clinquants, la dizaine d’interprètes de North Korea Dance est entraînée dans une chorégraphie militaire pop et sautillante au rythme survitaminé. Jambes tendues, ils défilent en cadence, multipliant saluts de la main et sourires figés avec dents visibles obligatoires, comme à la parade. Sur fond de draperies formant des plis à rendre jaloux les peintres de la renaissance, de tissus aux motifs luisants d’éclats que l’on retrouve sur les costumes, les corps se frôlent en miroir, dans une recherche de la synchronisation parfaite. Avec un art de la composition tout en ruptures, sont précipités dans l’espace des pas d’un Gene Kelly sous hallucinogènes, sur fond d’electro aux lignes de basse omniprésentes qui se transforment ensuite en revue pour majorettes à pompons dans une scénographie au sol noir miroitant, modifiée par la lumière. Les poses fières et viriles, hommage aux travailleurs des champs dans un pastiche de l’imagerie des masses populaires révolutionnaires, font écho à une danse des femmes, une main dans le dos, l’autre saluant alternativement la terre et le ciel. De la parade aux numéros de cabaret pour circassiens capables d’envolées proches des arts martiaux l’omniprésente Eun-Me Ahn apparaît, comme flottant dans l’espace, ses mouvements contenus s’évanouissant avec une grâce sans pareille. Une danse de petits pas arrêtés, buste droit et port de tête altier, ondulant jusqu’aux poignets pour mieux s’évaporer dans l’espace. Des gestes codifiés dans un silence soudain s’offrent au regard dans leur plus simple appareil.

Photo de Jean-Marie Chabot

À L’Arsenal (Metz), vendredi 6 mars
citemusicale-metz.fr

À la MALS (Sochaux), samedi 21 mars
mascenenationale.eu

* Lire Grandma fait le pois dans Poly n°185 ou sur poly.fr

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