Animer le monde

Basil Twist © Christophe Loiseau

Fondé en 1961, le Festival mondial des Théâtres de Marionnettes est devenu le grand rendez-vous du genre, mêlant pointures internationales, défricheurs repoussant les limites d’un art pluridisciplinaire par excellence et jeunes pousses. Plongée dans cette 21e édition.

Dix jours de fête réunissant une centaine de compagnies avec pour artistes fil rouge Claire Dancoisne et Basil Twist. La fondatrice du Théâtre de la Licorne s’attaque à Victor Hugo avec son univers de bricoleuse aux scénographies et à l’esthétique hyper travaillées. Son Homme qui rit au visage charcuté porte dans sa chair sa difformité. Usant de trompe-l’œil, de poulies et des perspectives dans l’obscurité, les sept comédiens interprètent près d’une cinquantaine de personnages avec cruauté et humour déchaîné. La monstruosité hugolienne se double d’un propos politique autour de la misère dans un conte interrogeant la noblesse et la domination avec masques et pantomime. Elle propose aussi Green Box, écho au petit théâtre ambulant tenu par le saltimbanque philosophe qui recueille le héros de L’Homme qui rit. Il devient un solo en forme d’attraction foraine livrant une part de rêve : celui d’un homme loup au milieu d’os, relisant l’histoire à sa manière, féroce. Place Ducale, Claire Dancoisne installe également un espace de cinq remorques tout au long du festival pour présenter “l’espace planète licorne”, plongée dans toute sa palette esthétique.

Ceux qui découvriront pour la première fois Basil Twist prendront assurément une bonne dose d’émerveillement tant l’univers immersif et expérimental du marionnettiste américain, diplômé en 1993 de l’École nationale supérieur des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières, fascine. Entre une exposition et trois films réalisés au cœur de ses spectacles – dont le hit mondial Symphonie fantastique, ballet aquatique au son live de Berlioz –, sera donné Dogugaeshi : une pièce hommage à cet art traditionnel nippon accompagné par une légende du shamisen (luth à long manche et cordes pincées). Il livre une sorte de méditation plongeant au plus profond de la culture japonaise avec une série de panneaux qui s’ouvrent à l’infini, succession de plan révélant des tableaux d’une beauté confondante – notamment éclairés à la bougie –, peuplés d’apparitions fugaces de pantins poilus.

© Virginie Schell

Monstres sacrés
Parmi les grands noms de cette édition du festival, l’Ambregris1 de Patrick Sims plonge avec humour au milieu d’Achab et de cachalots avec un orgue à parfums activé sur scène dont s’échappent de douces effluves (20-22/09) mais aussi Neville Tranter qui jouera un florilège corrosif de séquences choisies dans son vaste répertoire. Un unique et virtuose Looking Back (29/09). Le Bread & Puppet Theatre, groupe d’activistes né dans les années 1960 en pleine contre-culture américaine, revient quant à lui avec une création colorée et musicale de 2017, faite de cartons et marionnettes bidimensionnelles brandies : The Honey Let’s Go Home Opera (20-22/09). L’onirisme de Pep Bou, roi des bulles de savons qui emplissent l’air d’éphémère (Bloop !, 22 & 23/09) n’a rien à envier à l’absurdité revendiquée d’Intronauts, première française des anglais de Green Ginger (22 & 23/09). Un spectacle de SF où les humains sont miniaturisés et introduits dans le corps avec des sous-marins microscopiques. Une parabole de la multiplication des intrusions dans la vie privée actuelle et du trouble qu’elles provoquent.

Chimpanzee © Richard Termine

À découvrir
Au fort décevant Je Hurle de la compagnie régionale La Soupe s’intéressant au Mirman Baheer (cercle poétique féminin d’Afghanistan), préférez la violente froideur crue du Jerk2 de Gisèle Vienne, formidablement interprété par Jonathan Capdevielle, glaçant serial killer témoignant au plus proche du public. Dérangeant de violence et de pulsions, puissant d’intensité. On ne peut également que saliver devant le projet Alors Carcasse, nouvelle création de la lorraine Bérangère Vantusso qui s’empare du poétique ouvrage de Mariette Navarro. Un personnage hybride, évanescent autant que multiple, insaisissable et pourtant livrant des mots nous plaçant sans cesse au bord d’un abîme intérieur, interrogeant l’humanité par son refus des cadres comme des cases. Il faudra toute l’invention plastique et sensorielle de la metteuse en scène pour lui donner corps et cœur. Enfin, ne manquez pas le Chimpanzee grandeur nature de Nick Lehane, dont la manipulation à trois inspirée du bunraku impressionne par sa présence touchante autant que par sa fragilité. Sur une table plongée dans l’obscurité, des néons offrant d’étranges ombres, il joue avec des objets quotidiens, à la fois tellement humain et si loin de nous.


Dans différents lieux de Charleville- Mézières, du 20 au 29 septembre

festival-marionnette.com

1 Lire Le Parfum dans Poly n°213 ou sur poly.fr
2 Voir Poly n°155 ou sur poly.fr

L’Homme qui rit de Claire Dancoisne, vendredi 20 et samedi 21 septembre (dès 12 ans)
La Green Box de Claire Dancoisne, du 22 au 29 septembre (dès 10 ans)
Dogugaeshi de Basil Twist, samedi 21 et dimanche 22 septembre (dès 10 ans)
Chimpanzee de Nick Lehane, vendredi 27 et samedi 28 septembre (dès 10 ans)
Jerk de Gisèle Vienne, du 20 au 22 septembre (dès 18 ans)
Alors Carcasse de Bérangère Vantusso, samedi 21 et dimanche 22 septembre (dès 14 ans) puis en tournée au Manège de Reims (05 & 06/12), au NEST (04-06/02 à Thionville) et au TJP (12-14/02 à Strasbourg)

vous pourriez aussi aimer