Adam et Ève au shtetl

© Hadrien Gras

Depuis 1992, le LufTeater œuvre à faire connaître la culture yiddish. Avec Les Chants du Pentateuque, la compagnie strasbourgeoise s’attaque à une des figures emblématiques du genre, l’écrivain Itzik Manger (1901-1969).

Astrid Ruff prévient d’emblée : « Itzik Manger peut être considéré comme le troubadour de la littérature yiddish. Bien qu’il ait été très prolifique, il demeure néanmoins peu connu du grand public. » Le texte qu’elle a choisi de monter, après La Meguile et Mes Aventures au Jardin d’Eden, en yiddish (surtitré) est inspiré du premier livre de la Bible. « À l’époque où le recueil de poèmes est publié, le milieu des années 1930, tout le monde connaît ces histoires par cœur. La Genèse est presque le “quotidien” des gens. Le défi était de faire comprendre les saynètes à un public des années 2010 » explique Rafaël Goldwaser, son complice du LufTeater. Le moyen choisi ? Un spectacle chanté et dansé avec « une voix off qui éclaire le spectateur, en resituant ce qui se joue sur le plateau dans son contexte, en racontant ce qui lie les différents instants entre eux » selon la metteuse en scène Sabine Lemler.

Malgré leur point d’appui religieux, les poèmes, une douzaine au total, sont tout sauf des pensums à visée moralisatrice, puisque leur auteur n’a peur, « ni des anachronismes, ni des caricatures, ni de la farce » selon Astrid Ruff. L’irrévérencieux Itzik Manger se moque avec facétie et lyrisme de tout dogmatisme. Ses personnages sont humains, tellement humains. Il est donc logique que tout se déroule dans son shtetl (un grand village ou un quartier juif en Europe de l’Est avant la Seconde guerre mondiale) natal de Tchernovitz (Bucovine) : on y croise Adam et Ève, Abraham et Sarah, Jacob et Isaac… pour une exégèse très décalée du texte sacré. Sur une scène dépouillée, où sont simplement projetées des illustrations d’Hadrien Gras, les chants virevoltent avec joie. Astrid Ruff et Rafaël Goldwaser incarnent deux saltimbanques des temps modernes qui parcourent les chemins – avec quelques accessoires – pour narrer l’épopée drolatique et poétique d’Itzik Manger. Ils nous entraînent dans un monde désormais presque disparu, l’enjeu étant évidemment, au-delà du spectacle, de continuer à faire exister une littérature et une langue qui, aujourd’hui, survivent uniquement grâce à ce genre d’initiatives. Au fil des minutes, progressivement, les assonances germaniques du yiddish associées à une musique composite – où se rencontrent rap, reggae, influences slaves… –  transportent le public dans un univers singulier qui réinvente avec jubilation quelques histoires fondatrices de l’occident.

À Strasbourg, au TAPS Gare, du 14 au 19 février
03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu
www.lufteater.com

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