Au bord d’un monde

Photo de Vasil Tasevski

Inspiré par un recueil de poèmes de Guillevic, Autour du domaine déploie un paysage mouvant fait de fragments d’apparitions de deux fildeféristes.

« Le Dehors doit exister (…) Autour du domaine le vent se cherche des porte-paroles. Il n’y a pas que le vent à écrire le vent. Porter ce temps-là qui ne passe pas. On ne se couche que pour s’avouer son corps. On n’entre pas dans le domaine, c’est lui qui vient. » Avec ces vers de Guillevic débute ce spectacle-poème de Marion Collé. Formée au Centre national des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne, elle se fait rapidement un nom. Dès 2015, Autour du domaine est lauréat de CircusNext, programme européen repérant et accompagnant les auteurs émergents de cirque contemporain. Il faut dire que le duo qu’elle forme avec Chloé Moura déjoue tous les a priori entourant le fil tendu. Point de recherche virtuose, ni de peur de la chute dans leur utilisation de cet agrès placé à quelques dizaines de centimètres du sol. De l’obscurité, elles émergent lentement, étalées de leur long. Douceur de l’équilibre dans une ambiance sonore cristalline. Cette position, en apparence précaire, se double d’une étrangeté des gestes et des reflets créés par le sol luisant. Le filin sert de lien entre dessus et dessous, de point d’appui aérien pour une chorégraphie charnelle. Un équilibre sur un parapet imaginaire, une suspension du temps et du corps, la lumière qui vibre et chancèle.

Photo de Vasil Tasevski

Le domaine qu’elles explorent est vivant, peuplé de présences et d’obstacles invisibles. Dans un rai de lumière naissent de fugaces images. Petits pas et bouts de corps éphémères, retournant aussi vite qu’apparus au noir dans lequel ils étaient tapis. Cette expérimentation de l’instant dévoile une belle gémellité. Le duo défie l’apesanteur dos-à-dos, tel des siamoises, lorsque ses apparitions ne donnent pas l’impression d’un mammifère marin qui viendrait flirter avec la surface de l’eau avant de retourner dans le même élan vers les profondeurs. Un second câble est tendu beaucoup plus haut : les arabesques que dessinent les corps s’y entourant ou s’y balançant comme à une liane, avec le plaisir d’enfants qui jouent dans un parc, ouvrent un nouveau chapitre. Une extension du domaine. Avec une aisance incroyable offrant un ralenti soyeux, les acrobates esquissent des traversées en forme de parade amoureuse, de jeux de miroir. Ces deux oiseaux rares se lancent dans une danse, les bras fendant l’air tels des battements d’ailes symétriques, chacun sur son perchoir. Le bruissement de cordes de violons frottées accompagne leur pas de deux, jambes entrecroisées dans un équilibre dont on aimerait qu’il dure toujours.


Au TJP grande scène (Strasbourg), du 5 au 7 décembre (dès 8 ans) tjp-strasbourg.com

Au Centre culturel Pablo Picasso (Homécourt), lundi 11 et mardi 12 mai 2020
ccpicasso.fr

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