Sympathy for the devil

Dans le Off du Festival d’Avignon, L’SKBL éclaire les liens unissant l’histoire du foot au rock. Chili 1973 : rock around the stadium mélange géopolitique, icônes du ballon rond et riffs endiablés.

La compagnie mosellane L’SKBL1 fait partie des onze heureuses élues, bénéficiant du soutien de la Région Grand Est pour sa participation au Festival Off d’Avignon. Elle y présente le second volet d’une trilogie intitulée Amor, questionnant les cultures populaires et la mort. Entre costard blanc immaculé et maillot rouge du Chili, guitare électrique et batterie compulsive, Hugues Reinert et Kévin Lequellec retracent près d’un siècle de foot devant un écran blanc. Depuis la soule moyenâgeuse jusqu’aux considérations technico-tactiques actuelles s’y mêlent habilement icônes du ballon rond et leurs gestes de légende (Madjer, Panenka, Main de Dieu…), évolution du rock dont les stars sont inextricablement liées au football (d’Elton John aux Rolling Stones) et bons mots à la George Best, avant-centre de génie du Manchester United des sixties dont la légende veut que la tombe porte l’inscription “Pelé good, Maradona better, George Best”. Lorsqu’il finit sa carrière à Los Angeles, il avait une maison au bord de la mer. « Mais pour aller à la plage, il fallait passer devant un bar. Je n’ai jamais vu la mer », avoua-t-il.


Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette première partie en forme de contextualisation ludique et grand public cache une lecture du sport comme spectacle et aliénation de masse2 proche de la critique de la société du spectacle de Guy Debord. Pour appuyer sa démonstration, L’SKBL retrace, devant des images d’archives, les circonstances du grotesque match de qualification à la Coupe du Monde 1974 entre le Chili et l’URSS. Deux mois après le coup d’état sanglant du 11 septembre 1973 qui permit à Pinochet de renverser la république socialiste de Salvador Allende, l’équipe d’URSS refuse de jouer dans l’Estadio Nacional de Santiago. Dans cet immense enceinte, la junte au pouvoir a parqué les opposants, en torturant, violant et assassinant plus de 12 000. Pour couvrir les cris, les hauts-parleurs diffusaient des albums des Beatles et des Stones, pourtant symboles d’une jeunesse avide de liberté ! Un simple match de foot prenait, dans ce contexte, des airs de guerre froide entre bloc communiste jouant la carte du boycott et dictature militaire qui, forte du soutien américain comme l’Argentine de Videla au Mondial 1978, en fit une pathétique vitrine de propagande. Pinochet obligea son équipe à jouer seule le match avec la complicité des émissaires de la Fifa qui déclarèrent que la vie dans la capitale du pays était tout à fait normale, en dépit des privations alimentaires, des blindés et militaires quadrillant Santiago. La démonstration est implacable : le football devenait un moyen d’encadrer idéologiquement le peuple et d’orienter l’opinion publique.


1 Ce nom donné autrefois à un petit siège sans bras, sorte de tréteau sur lequel montaient les bonimenteurs, les camelots, les bateleurs, les comédiens, les farceurs et autres agitateurs, sert de nom à la compagnie
escabelle.com

2 Lire à ce propos l’œuvre de Jean-Marie Brohm, influent sociologue et philosophe français, pour lequel le sport est l’opium du peuple, détournement de l’adage marxiste voulant que ce soit la religion

À La Caserne des pompiers (Avignon), du 7 au 23 juillet (dès 15 ans)
avignonleoff.com
grandest.fr

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