Perspectives, vue d’ici et d’ailleurs

Le festival franco-allemand Perspectives, dédié aux arts de la scène, souffle ses 39 bougies avec une édition pleine de découvertes aux accents internationaux.

Ne pas manquer de perspectives, voilà une idée qu’elle est bonne ! Ayant su fédérer un public de part et d’autre de la frontière (entre Lorraine et Sarre) autour d’une programmation faite de créations surprenantes, ce festival réunit des stars comme Angelin Preljocaj qui signe l’inauguration avec son fameux Roméo et Juliette ou Milo Rau, porteur d’un théâtre documentaire, politique et engagé. Hate Radio (en français et kinyarwanda surtitré en français et en allemand) place face-à-face les témoignages des génocidaires et de survivants du conflit rwandais par le prisme d’une reconstitution, dans un cube de verre, d’un studio de la RTLM. Nous vivons une journée de la Radio-Télévision libre des Mille collines qui joua un rôle prépondérant dans le drame du printemps 1994. C’est ici que s’invente la rhétorique de l’ennemi, du cafard (les Tutsis), l’appel au meurtre et les dénonciations sur les ondes. Le tout comme si de rien n’était, entre tubes internationaux, bières et éclats de rire. Un idéologue règne sur les mots, les détourne et les manipule, matraque une haine qui ne peut s’assouvir que dans l’éradication. Fruit de plus de 1 000 heures d’émissions écoutées et des déclarations des protagonistes lors de leur procès, Milo Rau signe une pièce haletante de réalisme froid, âpre de haine et d’incompréhension.

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Mr. Nobody
Les jeunes pousses, pétries de talent, ne sont pas en reste à l’instar de Markus & Markus[1. Nous avions découvert Markus & Markus au Festival Premières, lire ici, dans Poly n°177]. Ces deux Allemands se sont lancés dans un cycle de spectacles autour d’Ibsen en choisissant un personnage par pièce, dont ils essaient de trouver la correspondance dans la vie réelle. Pour Ibsen : Gespenster – Les Revenants (en allemand surtitré en français, dès 16 ans), ils retiennent Oswald, atteint de syphilis qui demande à sa mère de mettre fin à ses jours. Un sujet au potentiel émotionnel gigantesque. Courant les associations d’aide à la fin de vie, le duo entre en contact avec une vieille dame, acceptant leur présence au quotidien, caméra au poing, durant les 30 derniers jours qui précédent son injection létale. Les images omniprésentes de ces rencontres émaillées de confidences, jusqu’à la toute fin, voisinent sur le plateau avec les deux performeurs qui créent des moments scéniques potaches et parodiques : s’y trouvent mêlées toutes les grandes morts d’opéra et de théâtre, les suicides célèbres (Roméo et Juliette…) avec un humour permettant de se frayer un chemin jusqu’à la vraie disparition, celle qu’on ne peut plus théâtraliser, interrogeant dans cette confrontation au réel les limites du travail scénique et du supportable. Pas question de porter un jugement sur le choix de cette dame qui défend sa dignité et un ras-le-bol de vie. Il s’agit de comprendre.

Festival Perspectives, au Carreau (Forbach), au Centre Pompidou et au Frac Lorraine (Metz), à la Scène de l’Hôtel de Ville (Sarreguemines) & à Sarrebruck à l’Alte Feuerwache, à l’E-Werk, sous chapiteau sur la Tbilisser Platz et au Saarländisches Staatstheater, du 12 au 21 mai
www.festival-perspectives.de
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