Impossible amour

Photo de Jean-Louis Fernandez

Éric Vigner crée Le Partage de Midi au TNS. Une grande tragédie autofictionnelle où Claudel joue de transgressions et d’incarnations.

Claudel faillit devenir moine bénédictin avant de reprendre sa carrière de diplomate en Chine. Quelle est l’importance de cet épisode précédent les événements intimes qui nourriront l’écriture de cette pièce ?
C’est une chose incroyable car cette pièce est écrite à 32 ans. Claudel a cet appel de Dieu, veut rentrer dans les ordres. Il est vierge, dans un rapport assez absolu à sa foi. Mais le non catégorique qu’il reçoit de Dieu sonne comme une douleur immense. Il est poussé à reprendre sa carrière diplomatique en Chine et y retourne avec une volonté de rien.

En même temps, il tombe amoureux durant ce voyage…

Dans la mythologie claudelienne, on lui propose l’incarnation de Dieu à travers cette femme, la faute, l’adultère et tout ce qui suit. Mais il ne comprend pas et s’y refuse… Finalement il cède, croit à l’amour une seconde fois, vit avec Rosalie Vetch, son mari et ses quatre enfants au Consulat. Elle attend un enfant de lui, quatre ans après. Les deux premiers actes sont exactement le re et de sa vie. Il a juste intégré au début, dans la version de 1906 que je monte, Amalric, l’homme qu’elle va rencontrer sur le bateau lorsqu’il la chasse, enceinte.Mêler ces strates est un défi : sa vraie vie, la part romancée, ce que cela repré- sente d’un point de vue symbolique ? Tous les grands auteurs, Shakespeare ou Molière, sont des mystères. Ce ne sont pas de petites questions, mais des choses fondamentales. Il faut imaginer 1900, la Chine, l’opium, le bordel du moyen-âge là-bas, le Canal de Suez qui vient d’être ouvert. C’est aussi l’imaginaire de gens ayant passé la première partie de leur vie dans un échec et qui recommencent. Amalric avec la force et la volonté de faire des affaires. Mésa (double de Claudel) ne veut plus entendre parler de l’amour, De Ciz (Francis Vetch) disparaît… Ce n’est pas une pièce facile. J’aime cet imaginaire concret du XIXe. Ils vont loin, dans des pays étrangers, en pleine Guerre des Boxers. Cette culture les mange, va les chasser et les repousser. Il a, comme Duras, une véritable culture extrême-orientale. La foi de Claudel, lorsqu’il parle d’amour, n’est pas que catholique mais touche à l’universel. On se fond dans le grand tout.

Claudel transgresse ainsi le catholicisme auquel on l’accole habituellement ?


Tout à fait car sa manière d’être refusé ne rencontre pas seulement le “Mon père pourquoi m’as-tu abandonné” du catholicisme. Tout le monde a connu l’abandon au moment où il a quitté l’enfance. Ce sont des points de rupture que nous avons traversés. Claudel est très charnel, il a des visions, loin de l’image un peu coincée qu’on a de lui en vice-consul : il n’est pas un jeune homme serré, mais un volcan avec des fulgurances comme les drogués peuvent en avoir. Son théâtre est un art stupéfiant. Ça crie, ça pleure… On doit y souffrir de cet abandon et de cette impossibilité de l’amour comme dans les grandes histoires tragiques. La même douleur que Bérénice de Racine, celle de voir ces deux êtres s’aimer mais être incapables de se retrouver ailleurs que dans la mort.

Au Théâtre national de Strasbourg, du 5 au 19 octobre
tns.fr
À La Comédie de Reims, du 13 au 15 novembre
lacomediedereims.fr

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