Humain, tellement humain

Put your heart under your feet... and walk! de Steven Cohen © Pierre Planchenault

Avec Born to be Alive, temps fort tout aussi dansant, performatif que festif, Le Manège de Reims compose un parcours kaléidoscopique entre cabaret à l’humour mordant, requiem habité, odes pop et créativité débridée.

Un peu de folie pour notre plus grand bien. Tel pourrait être le La de La Nuit sans retour (10/11, au Cirque), cabaret autoproclamé indiscipliné porté par Jérôme Marin (Monsieur K) et Chloé Py. Le duo convie des feux follets pour lesquels décadence et provocation sont érigés en art de vivre et de rire. Parmi les travestis les plus fous réunis pour cette soirée de folie, des figures de la danse comme François Chaignaud et Mié Coquempot ou encore Jonathan Capdevielle mais aussi des musiciens : Anna Petrovna (piano), Frédéric Chopine (accordéon) et Florian Satche (batterie). Attention aux oreilles, vous en prendrez plein les yeux ! Jan Martens se la joue, lui, solo. Ode to the attempt (15/11, au Cirque (Reims) puis les 22 & 23/03/2019 à Pôle Sud) constitue une plongée totale dans son processus de création par le biais de ses étapes de travail. Projetant le contenu de son ordinateur, il nous convie à son bouillonnement créatif, ses recherches, ses éparpillements et à d’incroyables séquences dansées… Un autoportrait survitaminé et plein de surprises.

La Nuit sans retour de Jérôme Marin et Chloé Py © Marian Adréani
Requiem

Si de la dizaine de formes réunies dans ce festival éclectique vous ne deviez en voir qu’un, nous ne saurions trop vous conseiller Put your heart under your feet… and walk! (08/11, au Théâtre). Le performer sud-africain Steven Cohen y livre un hommage sublime à Elu, son compagnon depuis vingt ans, disparu quelques mois avant cette création. Une cérémonie poignante dont le titre vient d’une réponse de Nomsa, sa nourrice de 96 ans à laquelle il demandait comment il pourrait continuer à vivre sans lui. « Mets ton cœur sous tes pieds… et marche ! » lui at- elle répondu. Il ira jusqu’à se faire tatouer l’injonction sur la voute plantaire, qui guidera l’ouverture de sa pièce : une marche douloureuse perché sur deux lourds talons-cercueils. Le poids de ce deuil entravant sa marche en équilibre avec des béquilles. « Un performeur ne peut pas tout donner de lui-même à la fois, mais il est obligé de donner tout de ce qui en lui est relié au sujet de sa performance », confie-t-il. « J’essaie ici de transgresser mes propres limites en rendant hommage à Elu, et en trouvant un nouveau – et pourtant antique – rituel pour intégrer sa mort à ma vie. En consommant littéralement une portion symbolique de ses cendres à chaque itération de la performance, je rends véridique l’affirmation “tu es enterré en moi Elu, je suis ta tombe”. Et en invitant le public à être témoin de mon rituel d’acceptation le plus profond – incorporant le corps incinéré d’Elu dans le mien, vivant – et mon acte d’abnégation le plus déterminé – rejetant les tabous sociaux et les normes acceptées du deuil – je crois utiliser le théâtre dans le sens où il était initialement destiné à l’être, en tant que temple. Pas pour le divertissement mais pour la transformation à travers l’art du culte et pour l’élévation, même si c’est par l’exaltation de l’abject. » Paré de ses atours de papillon, il se meut au milieu des pointes qu’il cisèle depuis longtemps, hybridations polymorphes. La plasticité de l’œuvre accompagne le mélange des sentiments et des images, de la douleur insoutenable à la beauté inextinguible. L’artiste sud-africain ne met pas en scène, ne joue pas. Il offre un rituel intime et vital, charriant la violence de l’absence d’Elu, ce danseur battu par son père durant son enfance pour lui faire passer l’envie de réaliser ce rêve. Son compagnon de vie et de création. Celui qui continue d’irradier le jour d’après.


Born to be Alive, dans les salles du Manège de Reims, du 6 au 17 novembre
manege-reims.eu

> Projection gratuite de Chandelier à l’Esad (Reims), vendredi 9 novembre (18h), suivie d’une rencontre avec Steven Cohen

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