Superstructure de Hubert Colas, ou l’histoire algérienne au TNS

Photo de Julian Johannes Olbrich

À partir du dernier récit polyphonique de Sonia Chiambretto, Hubert Colas crée Superstructure au TNS. Une traversée de l’histoire contemporaine algérienne, entre violence et mémoire fantôme d’une oppression perdurant depuis l’époque coloniale.

Voilà plus de dix ans que Sonia Chiambretto chemine avec ce récit fleuve. Il fallait bien ça, tant le sujet constitue l’un des angles morts du travail mémoriel de la France comme de l’Algérie. Si les autorités hexagonales viennent tout juste d’ouvrir aux historiens et aux citoyens les archives des disparus de la guerre d’indépendance, les plaies sont encore vives. Soutien à l’OAS, sort des Harkis, corvée de bois1, massacres de Sétif en 1945… Autant de pans peu glorieux de conflits dans lesquels plonge sans sourciller l’autrice, liant la violence de cette domination coloniale à celle qui oppresse jusqu’à aujourd’hui un peuple « pris en otage par la France, puis par le FLN, puis par ses gouvernements autoritaires successifs liés à l’Armée », assure Hubert Colas. « Même le Hirak2, dont la contestation dure depuis presque deux ans, n’empêche pas le nouveau président d’être depuis plusieurs mois soigné en Allemagne et le pays d’être dirigé par des oligarques et des militaires. »


Interview de Hubert Colas sur Superstructure, TNS


Si le texte débute en pleine “décennie noire”, entre check-points et exactions de l’armée algérienne dont les soldats, shootés et grimés de fausses barbes, massacrent des villageois, très vite les époques se mélangent dans une poésie sombre. Alger prend des atours futuristes, entre utopie architecturale et dystopie sociétale. Sur scène, les corps sont exposés sur un double plateau montrant le Plan Obus imaginé par Le Corbusier qui traverse la pièce et devient un espace de projection de vidéos d’archives et d’images tournées par l’équipe dans la ville blanche. Dans Superstructure, chacun est armé, vivant reclus ou trompant la mort en sortant, bravache, l’arme au poing, dans des rues où tout peut arriver, surtout le pire. GIA, Afghans plein de super-pouvoirs diffusant des K7 d’Oussama, « Jihadi spoken word » inondant les chaînes satellites, slogans échangés par de jeunes embrigadés (« kalash ! k’lash ! Bang, bang-gang ») poussés à en découdre, corps sans tête dans les vergers, litanies de poètes et intellectuels assassinés (Tahar Djaout, Matoub Lounès…), attentats d’Aqmi… Les rires sans fin à cause de la peur succèdent aux larmes. Le metteur en scène réunit « des acteurs aux origines diverses, une jeune génération venant témoigner et convoquer l’intimité d’une mémoire familiale fantôme, qui rôde en nous et avec laquelle l’époque actuelle – couvre-feu, répression policière, etc. – résonne fortement. Les sociétés veulent nous faire oublier les formes de trauma dont nous héritons de nos ancêtres. Le théâtre peut être l’endroit de leur expression collective. »


Au Théâtre national de Strasbourg du 8 au 15 juin
tns.fr

diphtong.com

Paru à L’Arche
arche-editeur.com

1 C’est ainsi que l’armée française nommait les exécutions sommaires
2 Mouvement de contestation populaire pacifique qui visait en février 2019 à s’opposer à un cinquième mandat du président Bouteflika et qui continue, malgré la répression, à réclamer plus de liberté et de démocratie

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