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Jeff Koons, Winter Bears, 1988 The Rachel and Jean-Pierre Lehmann Collection © Jeff Koons Photo : Jeff Koons Studio, New York

Jeff Koons, avec un “K” comme kitsch ? Évidemment, mais l’œuvre du quinqua américain ne peut se réduire à ce simple qualificatif. Preuve en est apportée dans une rétrospective en trois époques à la Fondation Beyeler.

« Jeff Koons s’affiche aujourd’hui non plus échevelé comme les artistes romantiques, moins encore nu et ensanglanté comme les avant-gardistes des années 1970, mais comme un trader de la City, attaché-case à la main et rasé de frais » écrit Jean Clair (dans L’Hiver de la culture), ancien directeur du Musée Picasso, dans un essai au vitriol. C’est en effet ainsi qu’apparaît le plasticien américain lorsqu’on le rencontre : costume noir impeccable – Brioni, peut-être – sourire Ultrabite et chemise blanche sans cravate… La conférence de presse bâloise se déroulant un vendredi, il a adopté les codes du Friday wear. Logique. Reste qu’on n’a jamais vu autant de monde pour entendre un banquier de J.P. Morgan. Plusieurs centaines de journalistes venus de toute l’Europe le suivent pas à pas. Un photocall est improvisé dans la bousculade. On se croirait au Festival de Cannes et non dans un respectable musée helvète qui n’avait jamais connu telle agitation.

Hollykoons Au milieu de la cohue, l’artiste semble aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau, prenant la pose et s’affichant devant les objectifs des photographes avec jubilation et naturel… jusqu’à ce que Sam Keller, après une quinzaine de minutes de show, n’exfiltre Jeff Koons, laissant la horde de journalistes en tête-à-tête avec ses œuvres pour cette première rétrospective suisse qui accueille le visiteur avec Split-Rocker, une colossale tête de chien végétale composée de 70 000 pots de fleurs. L’exposition, construite en trois parties – qui correspondent à autant de groupes d’œuvres, ou de “périodes” si l’on veut – débute avec The New. Dans les années 1980, le plasticien présente, dans des vitrines éclairées au néon, aspirateurs et shampooineuses (de Marque Hoover) rutilants dans une réflexion inspirée, à la fois, du ready made de Duchamp et du Pop art. Voilà les œuvres d’un Warhol glacé et déjà clinquant, un adjectif qui va comme un gant au second ensemble, Banality (1988), où se mêlent techniques artisanales complexes et icônes populaires. Ces sculptures de bois polychrome et autres fines porcelaines représentent en effet la Panthère rose, Michael Jackson, des oursons joyeux, Buster Keaton sur un poney, un oiseau posé sur l’épaule… Paradoxalement, de cette collision entre techniques ancestrales et imagerie kitschoïde naît un excitant trouble, puisqu’on a l’impression que l’artiste place sous nos yeux, avec une violence frontale, la rencontre entre nos rêves d’enfant et une existence d’adulte. C’est sans doute à cet instant que la phrase qu’il avait prononcée, mi provocateur, mi sérieux, au cours de la conférence de presse prend un sens profond : « Je cherche à toucher les gens, à susciter l’émotion. J’ai envie qu’en regardant une des mes œuvres on se dise : Waouhhh ! »

Photo de Geoffroy Krempp pour Poly

Tykoons La troisième partie de l’exposition est le reflet d’une suite initiée en 1994, et toujours en cours, Celebration qui a la semblance d’une orgie de volumes colorés en acier, inspirés de ballons gonflables noués entre eux comme ceux qui sont vendus à la fête à nœud-nœud. Chiens ou bouquets de fleurs : les formes sont parfaites, les surfaces réfléchissantes renvoient une image déformée rose, verte ou bleue, du réel. La plongée dans l’enfance se poursuit dans l’autre versant de cette série avec d’immenses peintures immatures toutes en lissitude et propreté, où se déploie ici une tranche de gâteau, là un tas informe de pâte à modeler ou un bonhomme de neige rigolo posé à côté d’un cochon tout rose. Peintre et sculpteur – même s’il ne fait qu’initier l’idée, l’œuvre étant réalisée par ses assistants – l’ancien mari de l’actrice porno Ilona Staller, dite La Cicciolina, ne peut se réduire au cliché qu’ont fait de lui ses détracteurs, celui d’un artiste kitsch, d’une simple valeur boursière, un ex-courtier de Wall street qui crée des “œuvres investissements” pour milliardaires incultes. À l’image de ces prédécesseurs du Pop art, dont il est le grand continuateur au XXIe siècle, Jeff Koons est le reflet boursouflé, régressif et économiquement décomplexé d’une époque qui l’est tout autant.

À Riehen (dans le canton de Bâle-Ville), à la Fondation Beyeler, jusqu’au 2 septembre+41 61 645 97 00 – www.fondationbeyeler.ch

Deux expositions sont également à voir cet été à Francfort, jusqu’au 20 septembre, à la Schirn Kunsthalle et au Liebieghaus – www.koons-in-frankfurt.de

www.jeffkoons.com

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