Mordant : Rire à pleines dents au Musée Tomi Ungerer

Ronald William Fordham Searle, Everyman, 1977 Museum Wilhelm Busch - Deutsches Museum für Karikatur und Zeichenkunst, prêt de la ville de Hanovre Leihgabe der Stadt Hannover © The Ronald Searle Cultural Trust

Au Musée Tomi Ungerer, Rire à pleines dents explore avec jubilation Six siècles de satire graphique à travers quelque 200 œuvres.

Si la satire est née dans l’Antiquité – avec Horace ou Juvénal –, elle quitte véritablement la sphère littéraire pour entrer dans l’ère visuelle avec la naissance de l’imprimerie. Construite thématiquement, cette passionnante exposition en narre l’épopée, débutant avec les procédés de fabrication de l’image qui consistent bien souvent à jouer avec les corps, à l’image de Lucas Cranach l’ancien. Acquis aux idées luthériennes, il imagina, dans les années 1520, des créatures hybrides comme le Mönschkalb (veau-moine) ou le Baptsesel (âne-pape), histoire de dézinguer le catholicisme. Dans cette première section, se découvrent aussi un pliage génial faisant apparaître la tête d’Hitler à partir de quatre cochons, les Gobbi de Jacques Callot – personnages grotesques inspirés des bouffons et des nains de cour du grand-duc Cosme II de Médicis – ou encore une composition anticléricale signée Eugène Ogé où un curé ressemblant à une inquiétante chauve-souris avec sa soutane pose ses griffes sur le Sacré-Cœur, suivi d’une nuée de ses semblables. Voilà transition idoine pour la section suivante dédiée aux Contre-pouvoirs et explorant une des thématiques favorites du satiriste : la critique de l’ordre en place. Le visiteur y apprécie notamment le célèbre dessin de Charles Philipon métamorphosant, en quatre étapes, le visage de Louis-Philippe en… poire.

Y est aussi accrochée une gravure de Félicien Rops où un vautour bicéphale plane au-dessus du cadavre de la Liberté. Intitulée L’Ordre règne à Varsovie, elle reprend l’expression maladroite d’Horace Sébastiani, ministre des Affaires étrangères d’alors, pour expliquer que la Russie avait maté l’insurrection polonaise de 1831. Et le dessin se fait alors un passionnant guide dans l’Histoire. Le reste du parcours (La Femme dans tous ses états, Le Théâtre du monde puis Rire et faire peur) fait preuve d’une semblable diversité, allant de la ligne claire made in USA de Saul Steinberg, avec un remarquable paysage californien des fifties, à la causticité d’Horace Vernet qui brocarde la mode du début du XIXe siècle. Au gré des salles se retrouvent, en fil rouge, les dessins de Tomi Ungerer, dont The back of beyond (Le Revers de l’au-delà), issu de la série Rigor Mortis, allégorie saisissante de la mort, tapie au coin de nos existences. Toute en légèreté macabre, ce Memento mori datant du mitan des années 1980 possède une incroyable puissance philosophique et esthétique, nous incitant à réfléchir à notre humaine destinée…


Au Musée Tomi Ungerer (Strasbourg) jusqu’au 13 mars
musees.strasbourg.eu

> De Bâle à Strasbourg, rencontre avec Annette Gehrig, directrice du Cartoonmuseum Basel (19/02, 14h30), Tout change, rien ne change, décryptage par l’illustratrice Jennifer Yerkes (06/03, 14h30)

> Conférences à l’Auditorium des Musées : Dent pour dent, rire contre rire, les dentistes au crible de la caricature par Brigitte Friant-Kessler (22/02, 18h30), Les Greffes, hybridations, charades, le corps de la gravure satirique par Martial Guédron (24/02, 18h30)

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