Lumière noire : La Carmina Burana du Ballet du Grand Théâtre de Genève

Photos de Grégory Batardon

En tournée, le Ballet du Grand Théâtre de Genève donne une version tellurique des Carmina Burana de Carl Orff, chorégraphiés par Claude Brumachon.

Partition monstre, la cantate scénique écrite par Carl Orff en 1937 est inspirée d’un ensemble de quelque 200e poèmes et chansons redécouvert au début du XIXe siècle à l’abbaye bénédictine de Beuren, en Allemagne. Datant de la fracture entre le XIIe et le XIIIe siècles, ces textes peuvent schématiquement être divisés en plusieurs catégories. Les uns sont satiriques, voire parodiques, les autres moraux et religieux, tandis que les derniers font preuve d’un épicurisme et d’un érotisme de bon aloi. Ils dépeignent, « parfois avec cynisme, l’histoire de l’Humanité : la religion, l’amour, la vie, le pouvoir qui s’éclipse, les plaisirs de la table et du jeu », explique le chorégraphe Claude Brumachon, à qui l’on doit cette production. Avec Carmina Burana, les 22 danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève se glissent dans son univers pétri d’élégance et d’exigence. Éminemment rythmique et pulsatile, sa danse très physique emprunte parfois ses images à la peinture, que ce soit à Dürer, Bacon ou Géricault : « Le premier tableau m’évoque Le Radeau de La Méduse, une masse humaine qui rampe entre ciel et mer, une fois la fortune perdue. Cette ouverture chante la versatilité de la Fortune, l’existence associée au désespoir, la force qui échappe aux rois, la chute », résume-t-il. Évoluant sur un plateau nu, les interprètes aux costumes presque luxuriants, collants comme tatoués ou ailes angéliques dans le dos, plongent dans un univers incandescent de sentiments exacerbés : « Les tableaux suggèrent tour à tour les passions. L’attente des femmes dans le désir, les hommes en fuite, la préparation aux jeux de séduction, avec des gestes ritualisés, mais aussi la colère, avec ce trio de garçons écorchés, impatients, passionnés, survoltés et convulsifs. » La gestuelle est précise épousant une bande-son d’une intense puissance. Carl Orff s’est en effet emparé du matériel textuel médiéval – au style tantôt raffiné, tantôt bourru – pour le mettre en musique avec une volonté qu’il résuma en une seule phrase : « Plus l’expression est essentielle, plus elle est simplifiée, plus son effet est direct et puissant. » Première partie d’un triptyque aux accents primitifs et païens – suivront les Catulli carmina et Trionfo di Afrodite – l’œuvre emporte ainsi l’auditeur dans un tourbillon élémentaire qui culmine avec O Fortuna, reconnaissable à la première note ! La chorégraphie est en parfaite osmose avec la partition, envoûtante, presque obsédante et chtonienne, entrant en résonance avec cette « pièce ambivalente, à la fois noire et solaire », comme la décrit Claude Brumachon.


À l’Opéra de Reims, samedi 27 et dimanche 28 novembre
operadereims.com

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