Le goût de La Merise avec le chef Cédric Deckert

©Maxime Mentzer

Sans tambour, ni trompette, Cédric Deckert a su s’imposer grâce à une cuisine allant droit au but. Les deux Étoiles de La Merise brillent à Laubach, à une dizaine de kilomètres de Haguenau.

La trajectoire est exemplaire. Ouverte en octobre 2016, La Merise est distinguée d’une première Étoile au Guide Michelin en 2018, puis d’une deuxième, en 2021. Exemplaire, le parcours du chef Cédric Deckert (né en 1981) l’est tout autant. Celui qui a grandi à Avolsheim passe par des adresses prestigieuses, du Cygne de Gundershoffen – rayonnant alors sous la houlette de François Paul – au Jardin des Sens, maison montpelliéraine culte des frères (jumeaux) Pourcel. C’est néanmoins à L’Arnsbourg qu’il reste le plus longtemps : dix-sept ans aux côtés de Jean-Georges Klein, auquel un cappuccino de pommes de terre et truffes sensuel et satiné rend hommage à la carte. Il a par ailleurs pris part à de nombreux concours, atteignant la finale internationale des exigeantes Olympiades des métiers à Séoul, en 2001. Une expérience formatrice en diable : « Sophrologie, sport de haut niveau, récupération… Nous étions coachés par Daniel Levavasseur – entraîneur de la double championne olympique Laura Flessel – car il fallait repousser nos limites chaque jour », résume-t-il.

Un écrin alsacien
Depuis longtemps, il avait en tête d’ouvrir, avec son épouse Christelle, rencontrée à L’Arnsbourg, une adresse qui leur ressemble. Ce sera La Merise, dont le nom évoque avec joliesse le sobriquet des habitants de Laubach, s’Kirschepicker (les picoreurs de cerises). Le couple a décidé de bâtir ex nihilo une demeure qui respire l’Alsace, avec des matériaux de récupération sauvés dans de vieilles granges effondrées et autres fermes vouées à la démolition : portes de bois massives, colombages, moellons de grès ou encore tuiles traditionnelles de terre cuite dont l’extrémité inférieure est arrondie, “en queue de castor” (ce qui lui confère son nom alémanique de Biberschwanz). « Si je n’avais pas été cuisinier, je pense que j’aurais été architecte ou tout au moins travaillé dans la construction », s’amuse Cédric. Le résultat est bluffant : le lieu est nimbé d’une altière authenticité, si bien qu’il serait possible de le croire érigé au XIXe siècle et récemment rénové. Contrastant avec l’extérieur, l’intérieur est tout de modernité. Sobriété et élégance sont de mise dans des salles aux teintes grèges. De larges baies vitrées structurant l’espace permettent des échappées belles sur une campagne idéale faite de prés cascadant avec volupté et de vergers dont la poésie rappelle celle d’Anna de Noailles : « Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées / Au mur où le soleil s’écrase chaudement / La lumière emplira les étroites allées / Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement. » La cuisine, elle, est en profonde harmonie avec cette intense luminosité.

Ouverture sur le monde
« L’année dernière, nous avons travaillé pendant deux mois sur un ris de veau sans réussir à le faire aboutir. Il était bien, vraiment bien, mais pas parfait. Impossible d’être 100 % convaincus ! Cela fonctionnait, mais il manquait un caractère d’évidence », narre Cédric Deckert, illustrant le credo de la maison. Claires, franches, directes, ses assiettes ne rassemblant pas plus de trois produits sont marquées par une fulgurante économie de moyens, allant droit au but : « La complexification à outrance est-elle absolument nécessaire ? » interroge ce maître des sauces et des jus architecturant des créations d’une rectitude absolue. Elles se situent sur la ligne de crête entre l’épure et la gourmandise, à l’image d’une de ses signatures, composition circulaire où un carpaccio de langoustine barbotant avec délices dans une soyeuse crème au vinaigre de framboise s’amuse, dans de marines circonvolutions, avec une généreuse grappe de grains de caviar osciètre (de la maison Kaviari). Amoureux des gastronomies espagnoles et italiennes, le chef – qui se dit fasciné par l’art de Christophe Bacquié – aime travailler les poissons de mer, proposant d’extatiques équipées méditerranéennes. Pensons à la droiture d’un rouget barbet jouant avec de l’huile au basilic et des sucs de cassis. Et l’Alsace là-dedans ? La tradition régionale revisitée n’est pas le truc de Cédric. Et c’est tant mieux, tant ils sont nombreux à pratiquer le genre avec plus ou moins de bonheur. Le terroir est parfois néanmoins présent, traces évanescentes et subtiles, dans des partitions plus amples, tel ce beurre à l’alsacienne – rayonnant de persil, ail, échalotes… – surmontant un filet de bœuf maturé à l’incroyable tendreté, auquel compotée d’échalotes et champignons donnent une dimension sylvestre marquée. Mais la cuisine n’est pas tout… « Aujourd’hui, le chef se retrouve sous le feu des projecteurs. Beaucoup viennent “consommer du chef” dans les restaurants et c’est dommage, à mon avis. Je revendique un travail d’équipe. En salle, Christelle retranscrit ce que nous faisons en cuisine. Son rôle est aussi indispensable. » Une franchise à la semblance d’une cuisine, toute de vérité.


La Merise est situé 7 rue d’Eschbach (Laubach). Fermé lundi, mardi et mercredi. Menus de 72 à 152 €
lamerise.alsace

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