The Way She Moves : L’Année commence avec elles à Pôle Sud

Guérillères, Marta Izquierdo Munoz, © Marc Coudrais et Christophe Raynaud de Lage

À Pôle Sud, L’Année commence avec elles est un temps fort chorégraphique 100 % féminin, recommandé au plus haut point.

Point de hasard à retrouver une fois encore l’essayiste et romancière Monique Wittig (1935-2003) comme figure tutélaire d’une pièce actuelle. Nombreux sont les artistes à relire Guérillères, son roman poétique paru dans l’indifférence générale en 1969 aux Éditions de Minuit, avant de devenir l’un des ouvrages phare des mouvements féministes. La pionnière du MLF et des questions de genre y décrivait une communauté de combattantes aux élans révolutionnaires. La fantasque chorégraphe espagnole Marta Izquierdo Muñoz en tire un spectacle éponyme (Guérillères, 26 & 27/01, également à L’Atheneum de Dijon le 21/03 dans une programmation du Dancing). S’y mélangent mythe des Amazones, divinités grecques et ambigus personnages de la pop culture telle Wonder Woman. Avec son amour du burlesque et de l’exubérance, elle imagine le récit de trois femmes guettant un ennemi invisible en pleine jungle, s’inventant tout un monde à la frontière du jeu et de la réalité, tuant le temps en pastichant l’esthétique des films de série B ou les mouvements des jeux vidéo.

Premiers solos

Si le nom de Sarah Cerneaux ne vous dit sûrement rien, il y a fort à parier que vous l’avez, pourtant, déjà vue danser. Originaire de la Réunion et des Comores, elle a été l’interprète d’Amala Dianor (Trait d’union), d’Abou Lagraa, de la Liz Roche Company à Dublin ou encore d’Akram Khan, tournant Kaash trois ans durant dans le monde entier. Either Way (18 & 19/01), son premier solo, devait avoir lieu l’an passé, dans le cadre de l’édition de L’Année commence avec elles. Qu’à cela ne tienne, elle se met à peler les couches de temps et de travail déposées par d’autres qu’elle, qui ont façonné son corps depuis tant d’années. Sarah questionne « la perte, les errements, ces petites morts qui nous créent ». S’invente une manière de se mouvoir racontant le processus qui l’habite pour se retrouver. « Either Way est aussi cette voix qui vient des tréfonds ou cette image oubliée, qui vous rattrape de justesse, lorsqu’en bout de course, le corps est prêt à lâcher, l’esprit s’affole, la logique déraille », explique celle qui entend laisser de la place au hasard et à l’impromptu. Il y aura de la gravité, de l’explosion et du rituel. Une quête de traces dans lesquelles se perdre pour se retrouver. Moins académique fut la trajectoire de Nach, figure française du Krump, une danse urbaine mise sous le feu des projecteurs par le photographe et réalisateur David LaChapelle, en 2005, avec le documentaire Rize. Ce Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise, né dans le quartier de South Central à Los Angeles, émerge suite à des émeutes sociales. Le mouvement se structure en communauté et s’exporte depuis lors jusque dans les salles de spectacle.

Dans son premier solo (Cellule, 18 & 19/01), la krumpeuse s’émancipe des codes de son art, creuse un sillon intime qui débute au milieu des clameurs des battles dans lesquelles elle évolue habituellement. Dans l’obscurité, Nach tend les bras vers le ciel, invoque les forces telluriques qui la possèdent pour lui donner vigueur et rage de fendre l’air avec des tourbillons de gestes, muscles tendus. Avec son crâne rasé et sa musculature se découpant sous la lumière de néons, elle multiplie les postures “classiques” du Krump, son personnage rempli de fierté défiant tous azimuts. Prête à exploser, elle libère cette énergie contenue en martelant le sol de ses pieds, corps gainé en recherche de libération. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est dans un espace mental que la jeune femme nous attire, celui qui l’obsède, peuplé de fantômes avec lesquels batailler de tout son être pour se trouver, par-delà cet avatar dans lequel elle s’oublie à chaque ronde. Cette lutte intime se peuple de touches de fragile au sein desquelles émergent des pas de danse classique et une mise en avant d’une féminité séductrice assumée. Le désir point entre deux tressautements hantés par sa longue pratique habituelle. Passant au sol, elle se tourne vers un nouveau vocabulaire de mouvements sur les notes de piano de Keith Jarrett. Se libèrent dès lors pleinement ses sentiments, dans une mise à nue de l’âme et du corps pleinement habitée, livrant un soi trop longtemps enfoui…

Corps politiques

Autre signe des temps, les questions politiques touchant au corps se multiplient de manière explicite. Dans Graces (21 & 22/01), Silvia Gribaudi envoie valdinguer les normes de beauté et les injonctions à la minceur. Toute en rondeurs, la chorégraphe manie l’humour et l’exemple pour revisiter sans fard danse classique, voguing, haka ou kung-fu. Les canons de beauté sont renvoyés aux calendes grecques. La kényane Wanjiru Kamuyu raconte An immigrant’s story (25 & 26/01) et bat en brèche les clichés américains (la racialisation à outrance qu’elle découvrit en étudiant dans le Michigan) et français (hyper sexualisation et exotisation des femmes noires hérités de la colonisation), son pays d’adoption depuis 2007. Impossible de finir un tel tour de ce temps fort sans évoquer Maguy Marin, cinq décennie de danse derrière elle qui présente sa dernière pièce, Y aller voir de plus près (11 & 12/01). En s’inspirant de l’antique Histoire de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide décrivant par le menu la rivalité entre Sparte et Athènes – ses coups bas, alliances et trahisons –, elle livre un spectacle dense, où le sens prend le pas sur le mouvement. Multipliant cartes, dessins, images, le plateau devient un carnet de notes géant permettant de suivre le déroulé d’un conflit qu’elle présente comme matriciel de tous ceux que nous avons connus depuis. Sa manière à elle de faire communauté face à l’état du monde et au repli sur soi.

Trailer du documentaire de David Mambouch, Maguy Marin, l’urgence d’agir (2019)

À Pôle Sud (Strasbourg) du 10 au 28 janvier
pole-sud.fr

Projection du documentaire de David Mambouch Maguy Marin, l’urgence d’agir, au Cinéma Star, lundi 10 janvier
Projection du film May B de David Mambouch autour de cette pièce iconique de Maguy Marin, à Pôle Sud

> Sont maintenus :
Maguy Marin, l’urgence d’agir – Documentaire de David Mambouch
LU 10 JAN – 19:45 – Cinéma Star

Y aller voir de plus près – Maguy Marin 
MA 11 + ME 12 JAN – 20:30 – POLE-SUD plateau

Graces – Silvia Gribaudi / Silvia Gribaudi Performing Arts
VE 21 + SA 22 JAN – 20:30 – POLE-SUD plateau

An immigrant’s story – Wanjiru Kamuyu / Cie WKCollective
MA 25 + ME 26 JAN – 19:00 – POLE-SUD studio

> Sont reportés en mai (dates précisées ultérieurement) :
May B – Film de David Mambouch et chorégraphie de Maguy Marin
Either way – Sarah Cerneaux / Cie. La Face B
Rain – Meytal Blanaru
Guérillères – Marta Izquierdo Muñoz / [Lodudo] Producción
Workpiece – Anna-Marija Adomaytite

Cellule – Nach / Nach Van Van Dance Company

vous pourriez aussi aimer