(Dé)routes du réel : Thierry Girard à la fondation Fernet-Branca

Kanda station, The Yamanote Line, Tokyo, 2012 © Thierry Girard

Par les forêts, les villes et les villages, le long des voies et des chemins, le photographe Thierry Girard déambule en quête de l’épaisseur des paysages ordinaires.

Pour Thierry Girard, c’est notre regard qui crée le réel. À 70 ans, le photographe flâneur a arpenté le Nord Est du pays en long, en large et en chemins de traverses, des Ardennes à Belfort, de la Haute-Marne à la capitale alsacienne. Poussant parfois jusqu’au « grand Grand Est », celui de la Chine et de l’extrême Orient. Les clichés de cet héritier de l’école documentaire américaine capturent le monde du banal et de l’humble, celui que chacun de nous traverse quotidiennement, sans le voir ni lui porter attention. Comme Walker Evans ou Lee Friedlander, cet autodidacte s’intéresse aux paysages vernaculaires, non pour leur beauté propre mais plutôt « leur intelligence », pour les multiples couches de sens qui se nichent dans les plis du réel et qui, si on les photographie avec un peu d’aménité, au regard se révèlent. « J’associe souvent mon travail à la divagation psycho-géographique de Georges Perec et des situationnistes », confie l’érudit regardeur. « C’est une forme d’errance à travers la ville, la campagne, le territoire. Chacune des séries exposées à la Fondation Fernet-Branca est en effet liée à un parcours, élaboré selon un protocole précis, défini en amont. » Ainsi, les poèmes de métro compilés par Jacques Roubaud dans Tokyo infra-ordinaire lui ont-ils inspiré sa série sur la Yamanote Line, pour laquelle il a posé sa chambre photographique sur le quai de chacune des stations de la ligne de transport entourant le cœur de la mégalopole japonaise. En résultent des images où fils électriques et panneaux publicitaires scandent un paysage complexe, « opérant comme une forme de ponctuation » dans l’architecture ultra éclectique et brouillonne de la capitale nippone.

Marches lentes, rail-trips, itinéraires contraints, itinéraires ouverts, déambulations urbaines… Les approches varient mais l’objectif de ce grand admirateur de Peter Handke – auquel le titre de l’exposition rend hommage, évoquant sa pièce de 1981, Par les villages – reste le même : éprouver le paysage, et en faire le récit. Un récit quasi littéraire et métaphorique, tendance « anti-lyrique », souligne Héloïse Conésa – conservatrice en charge de la photographie contemporaine à la Bibliothèque nationale de France – dans la préface du catalogue. Pour Une campagne victorieuse, Girard a fait le choix de suivre l’avancée de la deuxième division blindée du général Leclerc à travers l’Est de la France en 1944. Il se rend sur des lieux associés à un combat, simple escarmouche ou grande bataille, découvrant ici une place du souvenir ironiquement envahie par les stands de tirs d’une fête foraine, là un paysage nu, sans rien d’apparent pour rappeler son histoire. « Avec un peu d’attention pourtant, un trouble finit par sourdre du décor et je peux sentir que quelque chose s’est passé là. C’est ce que j’essaie de saisir. »


À la Fondation Fernet-Branca (Saint-Louis), jusqu’au 13 février 2022
fondationfernet-branca.org

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