Phallo-(de)centric manifesto : Regard sur Anna Ehrenstein à la Stadtgalerie Saarbrücken

Anna Ehrenstein, Tumpamaras Technophallus, 2020

Avec Tupamaras Technophallus, la Stadtgalerie Saarbrücken jette un regard sur l’œuvre collaborative et joyeusement subversive d’Anna Ehrenstein.

Comment vivre ensemble, réellement ? Tel est le leitmotiv du travail d’Anna Ehrenstein. Allemande d’origine albanaise, l’artiste de 29 ans tisse une œuvre singulière entre photographie, sculpture, vidéo, installation virtuelle et performance. « Chacun de ses projets se fonde sur le concept de collaboration. Chez elle, ce n’est pas un vain mot », explique Katharina Ritter, directrice de la Stadtgalerie et commissaire de l’exposition. Hors de question pour Ehrenstein de débarquer dans un pays et s’y installer quelques mois en faisant comme si elle pouvait comprendre la réalité de ses habitants. Démarche d’inspiration bien trop coloniale ! Si le contenu même du projet n’a pas été développé conjointement, alors ce n’est pas une collaboration. Lectrice d’Ivan Illich, la plasticienne veut œuvrer à la « société conviviale » que le penseur appelait de ses vœux en 1973 : défendre une coexistence horizontale de cultures s’influençant mutuellement, sans hégémonie de l’une sur les autres. 

L’exposition Tupamaras Technophallus s’inscrit dans le droit fil de cette philosophie inclusive. Alliée au collectif de danseurs colombiens House of Tupamaras, qui lutte pour les droits LGBTQIA+ à travers la pratique du voguing, Anna Ehrenstein s’amuse à brouiller l’image traditionnelle de la science et de ses prétendues normes biologiques universelles en les montrant d’un point de vue non occidental, queer et féministe. « Elle n’a pas peur d’affronter des sujets brûlants de façon très critique tout en s’en appropriant les outils avec ironie pour créer une œuvre sauvagement surréaliste. En cela, son travail s’accorde parfaitement à l’idée que nous nous faisons de la Stadtgalerie comme espace de confiance critique », souligne Ritter. Point d’orgue du parcours, une immersive vidéo à 360° mêle iconographie pop hallucinatoire, danses lascives, extraits de discours scientifiques et interviews à forte charge politique. On pense au Manifeste cyborg de Donna Haraway… version joyeusement foutraque, mais pas moins subversive ! 

Sous la façade de l’État

Fascinante plongée dans les coulisses bien ordinaires du pouvoir, Der Apparat (également à la Stadtgalerie jusqu’au 15/05) s’offre comme une ethnographie du travail bureaucratique. Loin des lumières du journal télévisé et des pompeuses réunions ministérielles, le photographe Lukas Ratius a infiltré les bureaux, couloirs et cantines des élus et fonctionnaires du Land de la Sarre. Entre bijoux déposés dans un bac au portique de sécurité, cartes à jouer abandonnées sur une table et brosse à dents trônant sur le lavabo des WC, il lève le voile sur le quotidien de ceux qui façonnent l’appareil d’État.

Anna Ehrenstein Lukas Ratius
Lukas Ratius, Der Apparat, Autobahngold, 2018

À la Stadtgalerie (Sarrebruck) jusqu’au 15 mai
stadtgalerie.saarbruecken.de
annaehrenstein.com

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