Voluptueux volumes avec Fernando Botero au Musée Würth Erstein

Boterosutra 51, 2013, collection de l’artiste. Photo de François Fernandez

Toiles, dessins et sculptures : le Musée Würth d’Erstein rend hommage à Fernando Botero (né en 1932) avec une exposition où est présentée l’intégralité de sa dernière série Boterosutra à côté d’une cinquantaine de peintures représentatives de sa trajectoire artistique.

Reconnaissables au premier regard, les œuvres de Botero représentent des sujets où les volumes sont outrageusement épaissis, femmes ultra-voluptueuses, toreros obèses ou fruits et légumes boostés aux OGM. L’artiste colombien, sans doute lassé qu’on lui pose sempiternellement la même question – « Pourquoi des gros ? » – préfère déminer le terrain de suite. « J’ai commencé intuitivement à faire des aquarelles très “volumétriques” en 1947-48. Elles me permettaient en quelque sorte de m’inscrire dans la tradition initiée par Giotto qui a véritablement créé le volume », s’amuse-t-il. « L’Art est exagération. Van Gogh exagérait. Picasso exagérait. Mes corps exagèrent. C’est un moyen de donner une puissante sensualité au tableau, tout en lui conférant un impact direct. »

Abondance somptueuse
En regardant ces toiles où le Christ est en surpoids et où une Europe bouffie chevauche un Zeus-Taureau plein de bourrelets, impossible de ne pas penser à la valeur tactile de l’art définie par Bernard Berenson (1865-1959) qui apparaît « dans la représentation des objets solides lorsque ceux-ci ne sont pas simplement imités, mais présentés de façon à stimuler l’imagination ; celle-ci est amenée à sentir le volume de ces objets, à en apprécier le poids, à mesurer la distance qui les sépare de nous, elle nous pousse à nous mettre en étroit contact avec eux, à les saisir, à les étreindre, à tourner autour d’eux. » On ne saurait mieux décrire le sentiment qui étreint le visiteur dans une galerie XXXXL de personnages potelés, picadors, prostituées, militaires ou circassiens. Cette Abondance somptueuse se déploie sans discontinuer depuis les années 1950. Alors installé à New York, l’artiste peint sa toile fondatrice, Nature morte à la Mandoline (1957) : « À l’époque régnait la dictature de l’expressionnisme abstrait. Même Picasso était éclipsé. Les prophètes se nommaient Jackson Pollock et Willem de Kooning. J’arrivais de Florence, où j’avais été observer l’art italien du Quattrocento. Mes tableaux allaient à contre-courant. »

Photo de Benoît Linder pour Poly

Imperturbabilité pré-romantique
À travers les séries successives de Botero, se découvrent ses multiples influences, de la peinture populaire naïve d’Amérique latine aux grands maîtres du passé auxquels il rend hommage en réalisant de séduisants pastiches boursouflés (d’après Velasquez, Goya, etc.) comme s’il cannibalisait l’Histoire de l’Art. Mais au fil des siècles « ça s’est toujours passé ainsi, non ? Rubens a copié Titien. Van Gogh a copié Delacroix et Picasso a copié toute le monde », rigole-t-il. Ses personnages demeurent cependant impassibles : même lorsque l’artiste s’attaque aux atrocités de la prison d’Abu Ghraib, ils ne semblent pas exprimer de sentiment, comme si victimes et bourreaux étaient absents à eux-mêmes et au monde. Cette « imperturbabilité préromantique » – pour reprendre l’expression de Mario Varga Llosa – est sans doute liée à l’effet produit sur le jeune Botero par l’art égyptien découvert à Paris, à 19 ans : « J’étais impressionné par ces scènes et ces visages statiques. Ensuite j’ai été fasciné par Piero della Francesca. » Nimbés d’une puissante sensualité, les créatures de Botero entraînent le visiteur dans un espace-temps onirique, apaisé et lointain. Le glissement vers l’érotisme était prévisible : c’est ce qui s’est passé avec sa récente série intitulée Boterosutra (trois statuettes, six toiles et plus de 70 dessins) « née du hasard » ou plutôt d’une « sculpture de femme couchée dont la composition n’était pas satisfaisante. J’ai mis un homme dessus et les choses sont devenues intéressantes. » Les corps s’emboîtent dans tous les sens (les attitudes des différents protagonistes évoquant parfois curieusement Ingres, Renoir ou Degas), mais les choses restent finalement assez sages, voire prudes, puisque jamais on n’aperçoit un vit turgescent. Il émane de ces couples un mélange de mélancolie – renvoyant à la tristesse post-coïtum – et de profonde tendresse : le Boterosutra est l’œuvre d’un amoureux lucide (tendance romantique désabusé), pas d’un libertin.

À Erstein, au Musée Würth, jusqu’au 15 mai
03 88 64 74 84 – www.musee-wurth.fr

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