Venez

© Jérôme Cavaliere

La demeure / parc de sculptures / espace d’exposition de Bernar Venet est une œuvre totale éclairant sur l’histoire de l’Art des XXe et XXIe siècles doublée d’une biographie vivante du plasticien. Reportage à la Venet Foundation et rencontre avec le maître des lieux, au Muy.

Nous sommes au cœur de l’été caniculaire, cherchant à pénétrer dans la propriété du Sud de la France de Bernar Venet (né en 1941). Le soleil tape fort dans l’arrière-pays varois. Le mercure grimpe tandis que, la langue pendante, nous tournons autour de cette imprenable citadelle en un vaste jardin verdoyant de quatre hectares et quelques. Une cascade, inaccessible îlot de fraîcheur, nous nargue lorsqu’enfin un portail s’entre-ouvre laissant apparaître, non pas Dr. No, comme nous l’imaginions à cet instant, mais Alexandre Devals, avenant directeur de la fondation et homme de confiance d’un artiste sans cesse par monts et par vaux, entre Paris et New York. Nous voilà dans l’ancienne usine de systèmes d’aiguillage de 2 000 m2 transformée en espace d’exposition et lieu d’habitation. Après avoir contourné un impressionnant Effondrement d’Arcs signé Venet, jeu de Mikado géant de 200 tonnes d’acier, nous traversons un corridor de métal conduisant à une immense pièce baignée de lumière avec vue sur une piscine au carrelage donnant envie à François Morellet de se l’approprier en la signant tel un ready made. Des milliers de livres, rangés dans une vaste bibliothèque allant jusqu’au plafond ou jonchant bureau et table basse, une reluisante cuisine ouverte digne d’un film de Michael Mann et, face à nous, Diane Venet (grande collectionneuse de bijoux d’artistes) proposant des rafraîchissements bien à propos. Élégamment assis dans un canapé en demi-lune, un homme à la crinière d’argent nous tend un lourd volume* de près de 400 pages : « Parlez de ma poésie », ordonne Venet dans un sourire, « c’est ce que je fais de mieux ! » Il s’agit d’une imposante anthologie (1967-2017) de 1350 grammes (nous l’avons pesé), davantage proche des Miscellanées, avec listes de noms, additions, équations et autres définitions, que des vers à la papa…

© Steve Benisty, New York

La Marfa du Var

Si nous sommes là, c’est pour découvrir sa collection et son parc de sculptures, ouvert au public depuis peu alors qu’il avait acquis terrain, usine et moulin de 1737, à la fin des années 1980, dans le but de stocker ses pièces XXL. Venet ne souhaitait pas en faire une fondation avant sa mort : « Je voulais avoir la paix », s’exclame-t-il alors que des visiteurs collent leurs nez curieux aux baies vitrées de son salon pour scruter un intérieur peu commun – on les comprend ! « J’ai craqué lorsque nous avons inauguré la Chapelle de Frank Stella dans le parc », faisant référence au kiosque hexagonal installé en 2014 qui abritait six grands panneaux du plasticien américain. « Le public a été très enthousiaste, alors j’ai décidé d’organiser des jours d’ouverture. Je m’y suis fait… » glisse notre hôte, fier d’annoncer l’obtention du Prix Montblanc, récompensant des actions de mécènes dans le domaine des arts et de la culture. « Impossible de se cacher à présent ! » En 2015, il fait construire une galerie d’inox, une architecture contemporaine “miroir” réalisée par le cabinet Berthier + Llamata faisant face à l’usine. L’analogie avec la fondation de son ami Donald Judd, autre artiste collectionneur, est plus qu’évidente. Depuis le début des années 1980, celui-ci développe un temple de l’art minimaliste à ciel ouvert, à Marfa, au beau milieu du désert texan.

 

© Frédéric Chavaroche

Une ligne déterminée

Tony Cragg, Anthony Caro, Carl Andre ou, acquisition récente, llitptic Ecliptic, magnifique open sky du géant James Turrell : l’histoire de sa collection est celle d’amitiés nouées, de complicités, de respect mutuel et de trocs entre copains plasticiens. Se faire écrabouiller sa voiture n’est pas réjouissant. Mais s’il s’agit d’une compression de César (hélas volée dans les années 1970), c’est tout autre chose ! « J’ai rencontré les Nouveaux Réalistes – Ben, Arman, Rottella… – et acquis des œuvres de chacun d’eux. Lorsque je me suis rendu aux Etats-Unis, j’ai croisé des gens comme Larry Bell dans les années 1970, à Los Angeles. Nous nous sommes perdus de vue, puis retrouvés et avons fait des échanges. Je suis très heureux de l’œuvre installée ici, Something Green, ensemble de trois cubes translucides verts de deux mètres de haut : aucun musée ne rivalise ! » Venet rassemble des œuvres minimalistes, conceptuelles, mais toutes sont chargées d’humanité : elles décrivent des chapitres de sa vie, dessinent son portrait chinois. « Mis à part Tony Smith, je les connais tous. Souvent, ils m’ont soutenu, comme Judd ou Sol LeWitt qui m’ont permis d’exposer à New York à leurs côtés, chez Castelli ou ailleurs. »

© Jérôme Cavaliere

Émotion et dévotion

En ce site où s’élevait une scierie, on ne produit plus rien (les pièces de Venet sont fabriquées en Hongrie, dans “son” usine), mais on conserve des sculptures, expose des artistes internationaux mis à l’honneur chaque année (James Turrell l’an passé, Fred Sandback et ses fils de laine tendus cet été) et organise parfois des performances : une lecture des textes de Venet par le poète américain Kenneth Goldsmith est programmée le lendemain de notre visite. Le moulin ne tourne plus, mais les idées continuent à fuser : le plasticien rêve actuellement d’un « geste artistique très fort », d’une œuvre monumentale en acier (voire même en béton) qu’il installerait sur un terrain d’un hectare fraîchement acquis, à proximité. En attendant, il s’attelle à la mise au point d’une sculpture de 75 mètres de diamètre, placée prochainement sur l’autoroute entre Namur et Luxembourg. Nous flânons à travers ses lignes indéterminées, arcs ou diagonales, traversons un pont-tube chevauchant la Nartuby, rivière capricieuse qui inonda et ravagea le terrain en 2010… Derrière l’austérité et la radicalité, l’émotion. Et la dévotion. « Si une religion est célébrée ici, c’est bien celle de l’Art », confie Alexandre Devals. Bernard Venet acquiesce : « La nature sert d’écrin aux œuvres et l’architecture doit les mettre en valeur. Toute l’énergie produite ici est mise au service de Richard Long, Philip King, Robert Morris », autant de personnalités sacralisées.

 

 > Venet Foundation, ouverte au public pendant la saison estivale (visites sur réservation uniquement, le jeudi après-midi et le vendredi) au Muy

venetfoundation.org

> À visiter également, La Commanderie de Peyrassol (Flassans-sur-Issole), domaine viticole jalonné d’œuvres d’Art contemporain de Bernar Venet, Wim Delvoye, César, Anthony Caro…

peyrassol.com

 > La Venet Foundation est l’invitée d’honneur de la foire d’Art contemporain strasbourgeoise ST-ART (du 17 au 20 novembre au Parc Expo)

st-art.com 

* Poetic? Poétique ? Anthologie 1967-2017, édité par Jean Boîte

jean-boite.fr

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