Un plan béton

Georges Heintz, créateur de la nouvelle antenne du Centre socio-culturel de Neudorf, bâtiment transgenre à la solidité virile et aux courbes généreuses en béton sombre, défend une architecture qui s’exprime. Et prône le retour du motif.

La Laiterie, scène de musiques actuelles de Strasbourg, sans fioritures (1994). Les Tanzmatten de Sélestat, élégante salle de spectacle réalisée (en 2000) avec l’ami Rudy Ricciotti. Le bâtiment administratif et technique de l’écluse de Niffer (Haut-Rhin, 2010) avec ses panneaux d’acier et de verre. La Salle socio-culturelle de Hunspach (Bas-Rhin, 2012), évoquant le pavillon barcelonais de Mies van der Rohe. La réhabilitation de l’entrepôt Seegmuller piochant dans un vocabulaire portuaire et « balançant 900 tonnes d’acier sur un bâtiment de 1932 »… Les divers projets du cabinet strasbourgeois de Georges Heintz et son associée Anne-Sophie Kehr, se suivent et ne se ressemblent pas, les architectes revendiquant le fait de ne pas être « pris dans un système ».

Si Georges Heintz ne se reconnaît d’aucune école – « nous allons du néo nothing au post everything » –, il pioche volontiers dans l’histoire de l’architecture et de l’art, son « abécédaire. L’hyper modernité, c’est la liberté de puiser dans tous les répertoires pour trouver la réponse appropriée, mais ceci sans jamais plaquer les références. » Pour lui, « l’architecture est une synthèse » : c’est une des leçons retenues d’un de ses maîtres à penser, Rem Koolhaas, pour lequel il travailla quelques années, à Rotterdam. « Il m’a appris la méthode, la rigueur et la liberté. » Selon lui, le lauréat du prix Pritzker en 2000 jouit de cette dernière qualité, ce qui n’est pas le cas de tous… « On demande toujours à Frank O. Gehry de refaire Guggenheim ! Il est prisonnier de lui-même » et de ses édifices tortueux.

Motif : le retour

D’après Georges Heintz, architecte et urbaniste, « il faut avoir le courage de fabriquer de la ville avec des morceaux de ville et non pas des objets posés côte à côte. Rares sont les investisseurs privés qui se permettent des bâtisses ayant de l’expression. La collectivité doit s’exprimer, montrer son engagement, défendre une posture consistant à inscrire la cité dans la modernité et donner un signal fort », par exemple grâce à l’enveloppe très graphique de l’antenne “du Ballon” du Centre socio-culturel de Neudorf qui méritait d’être remplacée, « vu l’état de vétusté de l’ancien bâtiment », se réjouit Émilie Poirot, responsable du secteur enfant du lieu. Avec ses pyramidons noir mat en béton brut, sa façade fait des clins d’œil aux pierres taillées en forme de pointe de diamant du Palazzo dei Diamanti à Ferrare ou de l’église de Gesù Nuovo de Naples. Cette utilisation permet – comme c’est le cas avec les écailles d’inox mises au point par l’agence Heintz-Kehr et recouvrant le Centre de loisirs d’Eckbolsheim (Bas-Rhin, 2004) – de réintroduire la question du motif « peu utilisé » (sauf chez Ricciotti, voir le moucharabieh du Mucem) dans l’architecture actuelle.

Georges Heintz parle d’une « prise de risque esthétique et technique » concernant un projet pourtant « modeste dans ses dimensions et son budget ». L’épaisse façade permet de lutter « contre certaines doxas de la pensée environnementale qui nous poussent à isoler avec 30 cm de produits pétroliers. Dans un contexte “esthétiquement pas gâté” et plutôt bruyant – nous sommes sur un grand axe de déplacement – cette structure offre la possibilité de pouvoir se replier sur soi. » L’architecte décrit un « lieu de quartier » sur deux niveaux, favorisant la « fluidité spatiale », avec des salles de jeu, une cuisine pédagogique, une bibliothèque ou une salle des fêtes, s’organisant autour d’un patio central. « Il existe une grande souplesse derrière la carapace, avec des espaces colorés qui communiquent grâce à des parois coulissantes. »

Une bâtisse austère qui « interpelle mais ne choque pas », massive comme un château fort, presque agressive avec ses pointes. « Virile » mais « aimable », elle évoque la Grande odalisque d’Ingres à l’architecte qui l’imagine telle une femme couchée, « bienveillante » et maternelle. Un bâtiment pour lequel le duo Heintz & Kehr, dans sa signalétique, a décliné le Modulor et sa variante féminine, la Modulette, qui existe vraiment et « qu’il est temps de révéler aux Corbuséens croyant le Modulor célibataire ».

Cabinet d’architecture et d’urbanisme Heintz-Kehr & associés

47-49 rue des Grandes Arcades à Strasbourg

03 88 32 64 84

www.heintzkehr.fr

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