Silence is sexy

Poésie sonore, paysages mentaux, musique concrète, cinéma pour les oreilles constitué de paroles enregistrées, de sons captés et de phases silencieuses. Difficile de définir l’art du nancéien Dominique Petitgand, un des invités de Musique Action, festival défendant la recherche.

Comment recueillez-vous les sons composant les pièces de vos installations ou disques ?

Je n’utilise que des sons que j’enregistre moi-même, indépendamment d’un projet précis. Je travaille en plusieurs temps, récoltant des bruits ou des voix, puis, parfois plusieurs années plus tard, les utilisant dans une œuvre.

 

Vous êtes un collectionneur de sons ?

Non, car il ne s’agit pas d’une pratique quotidienne et je n’ai pas besoin d’une masse infinie de choses… Je n’ai pas un intérêt universel pour tous les sons.

Les voix sont centrales dans vos pièces : les personnes que nous entendons sont-elles des proches ?

Les voix sont en effet au premier plan et tout le reste est mis au service de celles-ci. J’enregistre plutôt des gens que je connais, mais leur identité n’a pas d’importance. Pour moi, il s’agit d’avantage de “personnages” qui se dessinent au travers du montage et qu’on retrouve au fil des ans et des projets. Je n’écris rien en avance : étape après étape, un récit se met en place.

 

Le son est-il une matière malléable, comme la glaise ou la peinture ?

Oui et non, car je donne autant d’importance au son qu’au sens. À ce que disent les gens qu’à la façon dont ils le disent. Le grain de la voix, le souffle, le débit, la vitesse d’élocution… Le sens sans le son, ça deviendrait de l’écriture pure. Inversement, le son sans le sens ne m’intéresse pas : en cela, je ne suis pas un musicien. L’un ne va pas sans l’autre, un peu comme le fond et la forme.

 

Vous n’êtes pas musicien, mais vos disques sont en partie édités par le label pop de Nancy Ici d’ailleurs (Yann Tiersen, Chapelier Fou,GaBlé…)… 

Je suis l’exception sur ce label, mais il est vrai que je suis plus proche du format chanson que de la musique savante.

 

Vos pièces ont-elles le pouvoir de tisser des « liens invisibles » – pour citer une de vos “voix” – entre les gens, en convoquant des souvenirs et provoquant sensations ou sentiments.

Je veux créer des formes qui permettent de libérer la pensée de l’auditeur, des œuvres ouvertes, même si elles racontent des choses précises. Chaque pièce est un déclencheur. Pour qu’il puisse s’évader dans une sorte d’inconnu, il faut partir de choses familières. Dans mon montage, je cherche à basculer du familier à l’inconnu. Le quotidien est un point de départ, mais je lui tourne le dos pour aller vers l’extraordinaire. Il n’y a rien de plus stable que le quotidien alors que je cherche l’instabilité.

Avez-vous l’impression de faire une intrusion dans l’intimité des narrateurs ?

Non, aucun de mes sons n’est pris sur le vif ou volé. Il n’y a pas de confidence. Les personnages racontent quelque chose, mais ne le vivent pas. Ils disent par exemple : « J’étais dans un ascenseur et la porte ne s’est pas ouverte. » On n’est pas avec cette personne, mais dans le récit de ce moment-là, qui est médiatisé. Il y a une proximité de la voix, un gros plan, mais décontextualisé. Il s’agit d’éclats de mots qui déclenchent quelque chose d’intime chez l’auditeur, touché par ce qui est dit.

 

Pour ne pas entraver son imagination, vous ne dessinez qu’une trame narrative…

Je travaille autour du manque que l’auditeur peut combler. C’est une question de dosage : ne pas être trop abstrait et ne pas trop en dire. Il faut qu’une histoire possible se mette en place dans la tête de chacun.

 

Le silence a une place prépondérante dans vos pièces : il s’agit d’interstices où peut se glisser l’imaginaire ?

Le silence a beaucoup de vertus. Il me permet de tenir mes montages, de structurer mes pièces, comme du ciment dans un mur. Il offre la possibilité de créer des récits qui jouent sur l’absence, le manque, le vide. Toutes mes œuvres sont à forme creuse : elles existent en faisant entrer un peu d’extérieur.

 

Vos morceaux mettent en scène des mots qu’on a sur Le Bout de la langue, des hésitations, des blancs…  Ils expriment la difficulté de mettre la pensée en mots ?

C’est un moyen formel pour que le récit avance en pointillé. Il s’agit d’un chemin un peu tortueux fait de dérives et de ruptures qu’on peut voir comme une métaphore de la pensée, même si je ne veux pas illustrer une idée ou une notion. Il y a une multitude d’interprétations.

 

Musique Action, au Centre culturel André Malraux (Vandoeuvre-les-Nancy) mais aussi au MJC Lillebonne (Nancy) ou au TGP (Frouard), du 3 au 16 mai

www.musiqueaction.com

 

Carte blanche à Dominique Petitgand :

-> Six séances d’écoute de pièces sonores, parlées et musicales, au Studio danse du CCAM (Vandoeuvre-les-Nancy), du 10 au 15 mai

 

-> Présentation de l’installation sonore Au bord du quai et de l’œuvre muette Mes écoutes, à la Galerie du CCAM (Vandoeuvre-les-Nancy), du 3 au 16 mai

 

www.gbagency.fr

 

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