Sans peurs et sans reproches

David Martins © Benoît Linder pour Poly

Après Joseph d’Arimathie et Merlin l’Enchanteur[1. Lire Chevaliers de la Table ronde, dans Poly n°149 ou sur www.poly.fr] créés avec Christian Schiaretti, Julie Brochen s’attaque au troisième volet du Graal Théâtre. Rencontre avec David Martins, premier chevalier à la Cour du roi Arthur qui interprète le rôle titre de Gauvain et le Chevalier Vert.

Merlin, le magicien moqueur et insolent, cède sa place à Gauvain, chevalier toujours prompt à relever tous les défis et à se lancer dans toutes les aventures…
Gauvain saute sur tout ce qui bouge, toujours prêt à défendre qui en a besoin. Florence Delay et Jacques Roubaud [2. Auteurs du Graal Théâtre, épopée de plus de 600 pages éditée dans son intégralité chez Gallimard, en 2005] dépeignent un personnage assez naïf, avec un côté très adolescent, presque à côté de la plaque et avide de trop d’aventures, au point que tout le monde s’inquiète pour lui.

David Martins © Benoît Linder pour Poly

C’est un grand bagarreur, précédé par sa légende, qui a maille à partir avec la famille De Lis : blessé par Bran, il déflore Flore, tue son père Nore en duel, bat Mélian dans un tournoi et prend sa revanche sur Bran décidé à venger son père et l’honneur de sa sœur. Pas de tout repos…
Fils de roi, il fait partie de la plus haute lignée des chevaliers et c’est le neveu préféré d’Arthur. Il n’a rien à prouver : quelque soit l’aventure où il s’engage, elle va fonctionner ! La narration est troublante. Il réussit tout avec une capacité d’oubli incroyable : lorsque Guiganbrésil veut le défier car il a tué son père, Gauvain n’en a aucun souvenir. Il fait tellement de choses qu’il oublie. Cette personne sans mémoire n’est pas encombrée et va de l’avant avec, cependant, un manque.

Dans quoi avez-vous puisé pour nourrir ce rôle de chevalier fougueux doublé d’un bourreau des cœurs auquel les jeunes demoiselles réservent leur virginité ?
C’est un peu caricatural, mais James Dean est une des premières personnes à laquelle j’ai pensé. La Fureur de vivre (voir ci-dessous) commence par un plan où il s’endort avec un nounours dans les bras, en pleine rue. Ce type d’une beauté et d’une classe incroyable, qui a tout brûlé, avait un côté totalement immature.

Je pense aussi à des gens que je connais : un copain qui va tout le temps bien comme si les problèmes glissaient sur lui, un autre avec qui j’étais au Conservatoire de Paris, qui attirait les filles comme un aimant, sans rien faire. Je puise en eux. Julie Brochen essaie d’emmener Gauvain de sa perfection à une plus grande fragilité, cachée par de la désinvolture et dénuée de calcul. Je rapproche cela de la posture du clown entrant sur scène : un endroit où ce qui me caractérise, la présence physique et un volontarisme énergique, doit se gommer au profit d’une intériorité, un lâcher prise sur les événements m’attrapant et m’entraînant dans les choses, presque malgré moi. Je suis ravi de jouer un rôle de cette ampleur qui ne soit pas caricatural. On m’a souvent cantonné à des méchants ou des bandits au cinéma et à la télévision. J’ai intégré la troupe du TNS pour l’aventure du Graal Théâtre et suis fier qu’on me demande de nouvelles choses, loin de l’emploi dans lequel je suis souvent distribué. Il est plaisant de puiser en soi de l’émotion et de la retenue.

L’humour de la pièce repose sur les situations, le détournement des codes de l’amour courtois, mais aussi de la bravoure et de la loyauté de chevaliers sans peurs et sans reproches…
Merlin amenait sa magie du savoir et des anachronismes très drôles. Gauvain est un peu plus ridicule dans ses réactions, toujours à contretemps. L’humour vient de ce décalage dans les situations, très montypythonniennes ! Ils sont drôles avec un sérieux absolu, chose que l’on ne sait pas faire en France. Pour interpréter Gauvain, il faut à la fois être hyper sérieux et naturel, comme si tout ça était finalement normal : un peu comme dans Sacré Graal ! [3. Projection lundi 27 mai à 20h, au Cinéma Star, suivie d’une rencontre] lorsque le Chevalier Vert, découpé en morceaux et n’ayant plus que le tronc, continue d’haranguer ses ennemis pour qu’ils reviennent se battre.

http://www.youtube.com/watch?v=2zirwUw2OF0

Comment évolue le décor depuis Merlin ? De nouvelles trouvailles pour esquisser l’univers merveilleux et les multiples lieux des aventures ?
On garde le système des panneaux coulissants. Un château est représenté, côté cour [4. Au théâtre, le côté cour est, du point de vue des comédiens face au public, le côté gauche de la scène, celui du cœur. Le côté droit est appelé jardin.], par une palissade qui symbolisera tous les châteaux de la pièce, distingués par un travail de lumière. Des passages permettront de faire apparaître, sur trois niveaux de profondeur, des éléments de décors comme des chevaux, des arbres… Il y aura un immense lavis en fond de scène représentant un magnifique ciel gris et ténébreux.

Il y a au moins une tête coupée dans cet épisode. Verra-t-on un brin de magie ?
A priori non. Nous travaillons des choses plus “artisanales”, des trucs de théâtre sans l’illusion parfaite que l’on pourrait avoir au cinéma. Mais le Chevalier Vert repartira bien sa tête (qui parle) sous le bras, grâce à un jeu de dédoublement, de substitution et de panneaux…

Quels nouveaux masques Erhard Stiefel confectionnera-t-il ?
Julie Brochen et Christian Schiarretti ont l’idée de constituer un bestiaire au fil des pièces. Erhard Stiefel est le plus grand facteur de masques en Europe. Après le Cerf et le chien de Merlin, s’ajoutent un Lion accompagnant toujours Yvain et un sanglier, animal qui revient à chaque festin.

La quête du Graal

Gauvain et le Chevalier Vert est le troisième volet des dix pièces nécessaires pour venir à bout de cette utopie théâtrale portée par les troupes du Théâtre national de Strasbourg et du Théâtre national Populaire de Villeurbanne. Vingt-deux comédiens – dont quelques guests comme Juliette Plumecocq-Mech, Pierre Meunier et Christophe Bouisse – content des aventures merveilleuses de capes et d’épées (la fameuse Escalibour, l’épée aux étranges attaches…) au milieu de châteaux (de la Pire Aventure, des Dames et des Demoiselles) parfois magiques où le temps se distord (le château Orgueuilleux) dans une quête du Graal et de celui qui le trouvera : « Les reines disent qu’il sera beau franc hardi loyal généreux sage enfin tous ces trucs qu’on nous prêche à l’église… »

David Martins © Benoît Linder pour Poly

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 21 mai au 7 juin (puis à Villeurbanne, au TNP du 14 au 23 juin)
03 88 24 88 24 – www.tns.fr

Théâtre en pensées animé par Thierry Revol avec Julie Brochen et Jacques Roubaud, samedi 1er juin à 14h30, au TNS

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