Sang d’encre

Photo de Benoît Linder pour Poly

Hervé Bohnert fait se côtoyer martyrs et bourreaux dans une exposition où il jette un regard cru sur le monde. Rendez-vous à la galerie Ritsch Fisch pour admirer ses œuvres noires comme la mort et rouges comme le sang.

Il y a quelques années, Hervé Bohnert s’était fait remarquer avec des vanités contemporaines créées à partir de matériaux du passé, « qui ont  une mémoire », photos sépia et statues de pierre ou de bois. Surfaces grattées, curetées. Sous la peau, il faisait apparaître l’os… Avec cette nouvelle exposition, l’autodidacte – ou outsider artist, pour être précis – donne une nouvelle dimension à sa création. Une vingtaine de tableaux sont présentés sur les 120 que compte une série intitulée Martyrs & Bourreaux. Cimetières militaires, femmes tondues à la libération, lapidation de Saint-Étienne, portraits de Mobutu ou de Hitler, Saint-Sébastien percé de flèches, Jésus à la couronne d’épines… La galerie ressemble à un mausolée rouge et noir. C’est que les supports ont été peints « avec du sang de bœuf et de l’encre noire avec, parfois, des rehauts blancs », explique Hervé.

Rien n’est univoque. Les martyrs sont bourreaux et réciproquement : « Le Christ, par exemple, est le premier martyr, mais en son nom bien des atrocités ont été commises par la suite. » Pour l’artiste, le Mal est une abstraction. Il n’y a que des hommes, des comportements – et des choix – individuels qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Il ne faut donc pas regarder ces tableaux comme une réflexion morale. Si la mort irrigue toute la trajectoire d’Hervé Bohnert, c’est sans doute parce qu’elle a été occultée aujourd’hui, rejetée le plus loin possible des vivants, alors qu’avant la Deuxième Guerre mondiale, « le rapport avec elle était plus sain ». L’exposition se fait alors étrange danse macabre, sanguinolente et sombre à la fois. Le visiteur la parcourt avec, dans un coin de la tête les musiques eighties dark de Sisters of Mercy ou de Jesus and Mary Chain qui ont bercé l’adolescence de l’artiste. Il demeure fasciné par certains visages tendant vers l’abstraction qui ont la semblance de têtes de mort, par des corps tordus avec une étonnante élégance qui rappellent parfois Francis Bacon. Et l’on se prend à rêver que le galeriste expose la totalité de la série, qu’il ne reste plus un pouce de blanc sur les murs et que l’endroit soit métamorphosé en chapelle ardente et sanguinolente.

À Strasbourg, à la galerie Ritsch Fisch, jusqu’au 20 décembre (à cette occasion la galerie édite la première monographie dédiée à l’artiste)
03 88 23 60 74 – www.ritschfisch.com

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