As Tears Go By

Révélation du dernier festival d’Avignon, le Saïgon de Caroline Guiela Nguyen revisite avec pudeur 40 ans d’histoire de la diaspora vietnamienne par le prisme de petites gens.

La cuisine est là, repaire des femmes, repère des anciens. S’y prépare le Pho pour réchauffer les cœurs, à Saïgon en 1956, comme à Paris en 1996 où la diaspora de Viet-kieû obtient enfin le droit au retour au pays natal. Une scénographie panoramique à la déco kitsch (avec cuisine ouverte, bar et alignement de chaises et tables en métal, podium pour karaoké) et aux lumières criardes touchant à l’obsession chromatique façon Wong Kar-wai avec lequel Caroline Guiela Nguyen partage un amour du silence dans la contemplation introspective gorgée d’émotions.

Fille d’une Vietnamienne exilée en France et d’un pied-noir, elle signe un mélodrame débordant de larmes et de pudeur, de tristesse et de mélancolie, de renoncements et de vies balayées par l’histoire mais surtout, par de petits choix aux immenses conséquences nourrissant d’éternels regrets. Une tragédie commune à la France et au Vietnam, des dégâts d’une décolonisation forcée par la défaite en Indochine (la disparition des réquisitionnés de 1939 comme le fils de Marie-Antoinette, patronne du restaurant) aux chimères d’un pays riche offrant forcément un avenir meilleur (Linh rêvant d’Europe avec son amant, jeune soldat aussi paumé que mythomane). L’ancienne métropole est aussi un exil forcé pour échapper aux représailles des purs parmi les révolutionnaires qui se chargeront de punir les accointances passées avec les anciens colons, à l’instar du jeune Hao qui eut le malheur de chanter en français dans ce restaurant pour gagner de quoi survivre. Le décor porte en lui ces paillettes clinquantes mais désuètes qui ne s’agitent que pour la fête du Têt, le karaoké apportant une mélancolie doucereuse à toutes les oreilles.

SAÏGON © Christophe RAYNAUD DE LAGE
Passé-Présent

La metteuse en scène, passée par l’École du TNS, croise les époques et la nostalgie de ceux qui se sont aimés et perdus. Avec une chronologie non linéaire, elle manie l’art du théâtre en faisant se télescoper morts et vivants, qui se font face sans se voir, se répondent sans s’entendre. Quatre heures dans les profondeurs intimes du drame de lignées coupées de leur histoire. Du Vietnam au 13e arrondissement de Paris, se donnent à ressentir leur culture du non-dit, vaine protection pour déracinés en mal de réponses, la vie cloisonnée de la communauté, les destins brisés et tus, les larmes incessantes. Ce récit choral déborde de sensibilité, de silences pesants marqués au fer rouge par l’absence de révolte d’êtres échoués depuis trop longtemps sur les rivages d’une vie subie après un périple involontaire. Incapable de prendre en main leur destin, submergés par la bile de la nostalgie et les remords aigres de l’écume de jours aussi heureux qu’anciens. Une génération perdue, murée dans la tristesse d’un silence insoutenable pour leurs descendants.

Au Théâtre national de Strasbourg, du 6 au 16 novembre – tns.fr

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