Quiproquo

©Alain Julien

Élevée à Londres, Catriona Morrison s’est installée en France sur un coup de tête. Dans I Kiss You, elle se penche avec malice et intelligence sur les embrouilles langagières et culturelles.

Hasard du calendrier, quelques jours avant la première de sa nouvelle pièce, Catriona Morrison obtenait
officiellement la nationalité française. C’est donc en tant qu’anglo-française qu’elle interprète avec humour son nouveau texte mis en scène par Laurent Crovella autour de « la dyslexie langagière et culturelle qui touche tous ceux qui, comme moi, sont dans cet état d’entre-mondes ». Tout est parti de ce moment de panique qui la saisit lorsqu’elle constate qu’elle commence à perdre sa langue maternelle, cherchant ses mots et « bien pire, construit grammaticalement en anglais des phrases sur le modèle français ! » L’impression de ne plus maîtriser aucune des deux s’accompagne d’un trouble identitaire. Elle comprendra où se nichent les interférences lors d’études de traduction, totalement fascinée par les processus neurologique à l’œuvre. « Si le langage met en forme la pensée, mettre en mots est déjà une forme de traduction », livre-t-elle dans un sourire. Il n’était pas question pour elle de faire un spectacle autobiographique. Pourtant, au final, on la trouve derrière tout ce qui le compose : qui-proquos et question de l’identité intérieure, mouvante, sans cesse redéfinie. Catriona Morrison traverse la Manche pour la première fois en 1988 pour les vacances. Amoureuse, aussi tête butée que tête en l’air, elle a 18 ans et ne rentrera que six ans plus tard de Paris ! Son envie de théâtre nécessite de gros progrès dans cette nouvelle langue qu’elle apprend dans la rue ou grâce à un professeur lui faisant « réciter des poèmes de Prévert avec un stylo dans la bouche, pour apprendre à placer l’accent tonique ailleurs que n’importe où ! » La jeune femme zélée travaille dans un salon de thé guindé tenu par des intellos du 1er arrondissement et fume de l’herbe à Bondy, le soir venu. Elle tente les concours du TNS et du Conservatoire. Deux échecs qui la poussent au retour. Direction la London Academy of Music & Dramatic Art avant d’être rappelée en France par Matthew Jocelyn et le Théâtre de l’Écrou à Fribourg. « Rebelote. Arrivée pour 8 mois, j’y reste 8 ans avec pour seules affaires un sac à dos. Je m’installe à Colmar et deviens artiste associée à L’Atelier du Rhin. » I Kiss You évoque ce déracinement, cette sensation de n’être jamais à sa place, pas totalement d’ici, ni plus vraiment de là- bas. Mais aussi les incompréhensions liées aux niveaux de langue, « le plus dur à acquérir, ces nuances qui font que “ça m’ennuie” est plus acceptable que “ça me fait chier” ! » La pièce joue de cette dichotomie intime qui fait « qu’une partie de soi existe dans une langue et une autre uniquement ailleurs : même dans l’intimité, une barrière fait qu’on parle en français. Passer à l’anglais serait comme la sensation d’enlever un vêtement. Si on perd la capacité d’une prise de position absolue car on a toujours un autre point de vue, l’ouverture d’esprit est plus grande, au point de donner souvent le vertige. »

 


À L’Espace 110 (Illzach), samedi 7 avril
espace110.org
Au Taps Laiterie (Strasbourg), du 10 au 14 avril
taps.strasbourg.eu
À la Salle Europe (Colmar), vendredi 20 avril
salle-europe.colmar.fr
À La Maison d’Elsa (Jarny), lundi 14 et mardi 15 mai
ccpicasso.fr
À La Menuiserie (Mancieulles), jeudi 17 et vendredi 18 mai
theatreicietla.com
À La Passerelle (Rixheim), vendredi 25 mai
la-passerelle.fr

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