Premières Classes

Magnificat © Krzysztofiak Krzysztof

Les amateurs de théâtre se réjouissent du retour du festival Premières, co-organisé par le TNS et Le Maillon, après une année d’absence. Cette septième édition réunit neuf jeunes metteurs en scène européens présentant leur création et leur vision du monde.

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Suite « aux baisses drastiques des budgets dédiés à la création » auxquelles était confronté le Théâtre national de Strasbourg, sa directrice Julie Brochen et son homologue du Maillon Bernard Fleury avaient « refusé de faire un demi festival, au rabais » et pris la décision de « reporter d’un an l’édition 2011 ». L’objectif affiché était de marquer les esprits des professionnels, des tutelles et des partenaires. En plein « développement de liens avec l’Allemagne et discussions avec les collectivités publiques afin de renforcer l’autonomie du budget artistique du festival », la septième édition concoctée sous la houlette de la programmatrice Barbara Engelhardt rassemble toute la diversité du théâtre européen actuel. « Les neufs spectacles retenus proviennent de huit pays. Autant de tentatives de dire et d’appréhender le monde par le prisme de la mise en scène, de témoigner d’une réalité sociale et politique », assure celle qui se plait à « découvrir des formes audacieuses et étonnantes ».

Mahâbhârata © Anna van Kooij

Force d’écriture
Rarement programmation de Premières aura contenu si peu de textes classiques et dramatiques. Le russe Tufan Imamutdinov s’empare bien du Journal d’un fou de Gogol, utilisant le savoir-faire sans pareil des acteurs de l’École russe qui peuvent tout faire (chanter, danser, jouer…) dans une scénographie jouant du rapport intérieur / extérieur à grand renfort d’intrusions intempestives de personnages. Le développement de la folie chez le pauvre fonctionnaire au centre de l’intrigue – paralysé dans son champ social, il ne pourra jamais se marier avec celle qu’il aime – s’effectue dans un comique amer, tristement drôle. Et la nuit sera calme est aussi librement adapté des Brigands de Schiller par Kévin Keiss et mis en scène par Amélie Enon. Créé en 2010 lorsqu’ils étaient élèves à l’École du TNS (avec des comédiens du groupe 39), ce spectacle, malheureusement raccourci de moitié (1h40 contre 3h) pour les besoins du festival, revisite la question de la révolte de la jeunesse face à un ordre établi de valeurs et de normes sociales, face à un état du monde qu’ils dénoncent. « Un propos classique que Kévin a su, dans son écriture, reprendre à son compte pour l’adapter à sa génération », commente Barbara Engelhardt.

CMMN SNS PRJCT © Gerhard Ludwig

Le même engagement social et sociétal se retrouve dans ArabQueen, de l’Allemande Nicole Oder d’après un roman de Güner Yasemin Balci. Deux sœurs d’origine turque vivant à Berlin sont confrontées aux difficultés d’être, tiraillées entre Islam et mœurs actuelles, traditions et tentations de leur âge. Chacune réagit différemment à la pression familiale et aux sacrifices demandés, empruntant des voies divergentes. « Ce spectacle, formellement très narratif, humanise un thème théoricisé à des fins politiques. Je l’ai repêché de l’édition 2011 car je trouve qu’il est primordial de donner cela à entendre dans le débat public d’aujourd’hui », confie-t-elle.

Force du geste
Premières est aussi l’occasion de promouvoir l’audace de jeunes artistes qui n’hésitent pas à dynamiter et réinventer les codes du théâtre. CMMN SNS PRJCT de la danseuse argentine Laura Kalauz et du comédien suisse Martin Schick prend le parti de l’interactivité participative en échangeant des objets avec le public. L’inconnu dans lequel on tombe en se faisant offrir quelque chose crée une relation basée sur un mécanisme non-marchand, à partir duquel les deux performers questionnent les relations économiques et humaines. Vertigineusement édifiant et d’une efficacité aussi drôle qu’imparable…

Le second objet théâtral non identifié du festival sera sans conteste Magnificat. La Polonaise Marta Górnicka constitue un incroyable chœur composé d’une vingtaine de femmes. Bruissant comme une vague, scandant tout en interprétant une chorégraphie aux lignes très martiales, les interprètes issues de milieux fort variés – elles sont, à la vie, étudiantes, mathématiciennes, architectes, actrices… – unissent leurs voix pour former une seule parole devenant musique rythmée. La force vibrante et décapante de l’ensemble prend au cœur tandis que « la redécouverte de la forme – traditionnelle dans le théâtre antique – du chœur joue à plein son rôle critique de juge », analyse la programmatrice. Magnificat est le second volet d’un triptyque débuté avec Chœur de femmes qui dénonçait la société de consommation, la standardisation de l’image sociale de la femme ainsi que les persistances des pressions patriarcales. Cette deuxième partie emprunte beaucoup aux chants liturgiques (Stabat Mater…), « ciblant la culture polonaise où les valeurs religieuses et idéologiques véhiculent encore une représentation de la femme pure en Vierge Marie. Mais aussi leur influence jusque dans le microcosme familial et leur rôle dans les relations homme / femme. » Le dernier opus devrait d’ailleurs n’être composé que de mâles. Mais c’est une autre histoire…

À Strasbourg, au Maillon-Wacken, au Théâtre national de Strasbourg et au Théâtre Jeune Public (Petite Scène), du 7 au 10 juin
03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com
03 88 24 88 00 – www.tns.fr
www.festivalpremieres.eu

Soirée Bring Your Music, vendredi 8 juin, à 22h30, au Maillon-Wacken ainsi que la traditionnelle soirée avec le Festival Contre-Temps, samedi 9 juin à 23hwww.contre-temps.net

vous pourriez aussi aimer