Majestueuse tristesse

Photo d'Élisabeth Carecchio

Célie Pauthe s’attaque pour la première fois aux alexandrins de Racine. Éclairées par les visions durassiennes de Césarée, les amours impossibles de Bérénice et Titus prennent de nouveaux atours.

Douze pieds. Mesure pour mesure. La rythmique des vers et leur mécanique imposent une avancée cadencée à quiconque s’y frotte. « Comme le poète Virgile conduisant Dante aux enfers, Marguerite Duras sera notre passeuse et notre guide », assure Célie Pauthe. C’est en montant Une Bête dans la jungle suivie de La Maladie de la mort que la directrice du CDN de Besançon Franche-Comté tombe dans Bérénice. L’envie d’approcher son abandon à l’amour, si particulier, de plus près. Dans Césarée, superbe texte et court métrage tourné au jardin des Tuileries en 1979, l’écrivaine resitue l’héroïne dans son contexte géopolitique : une reine de Judée Samarie, colonisée par les romains, rencontrant Titus lors de la première catastrophe du peuple juif (la bataille de Judée). Elle conte la disponibilité à l’esclavage comme à la royauté d’une reine se livrant totalement à l’amour. Comment elle va trahir les siens, sa patrie, sa religion. Mais aussi la douleur de son abandon, sa répudiation pour raison d’État, son retour… Dans les jardins parisiens, la caméra tournoie autour des statues de Maillol et s’attache au visage d’une déesse de pierre (L’Abondance de Louis Petitot) enfermée dans un échafaudage au-dessus du pont du Carrousel.

« Autant de survivances de la reine étrangère disséminées aujourd’hui encore dans la ville », livre, émue, la metteuse en scène. « Quand elle comprend qu’elle est quittée à son tour, tout cède sous ses pieds, elle n’a plus de parents, plus de terre, plus de religion, plus de passé et plus d’avenir. Bérénice a tout perdu. » À Roland Barthes qui pensait que Titus ne l’aimait pas, Célie Pauthe préfère voir « caché, dans sa fureur à piétiner ce qu’il a de plus cher, une pulsion auto-destructrice, comme un étrange goût de la mort. J’ai l’impression que comme beaucoup de personnages raciniens, Titus travaille malgré lui à son propre malheur. C’est en cela qu’il peut me faire penser à l’homme de La Maladie de la mort, saisi d’un effroi irrationnel devant l’amour, infiniment douloureux. » Racine invente un dispositif pervers où, par le biais du personnage d’Antiochus, qui n’a pas de réalité historique, se noue une triangulation amoureuse inextricable. Le Ravissement de Lol V. Stein n’est pas loin. Duras, encore et toujours.

 

 Au CDN de Besançon Franche-Comté, du 24 janvier au 2 février

cdn-besancon.fr

À L’Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris), du 11 mai au 10 juin

theatre-odeon.eu  

vous pourriez aussi aimer