L’ombre d’un doute

© Christophe Manquillet

Fasciné par Raymond Devos, François Morel s’est inspiré de sa prose pour inventer J’ai des doutes, spectacle musical drôle et sensible. Interview avec un artiste complet.

Musique, théâtre, radio… vous officiez dans des disciplines très diverses : quel genre d’artiste êtes-vous ?
Mes activités sont variées, mais elles sont cohérentes parce que je me vois comme un homme de spectacle. Que j’écrive, joue, chante ou mette en scène, c’est pour rencontrer le spectateur et tenter d’ajouter un peu de poésie et d’humour au monde, qui en manque terriblement. J’essaie d’inventer et de raconter des histoires qui peuvent nous consoler, nous faire plaisir et nous rendre un peu plus sensibles, voire un peu plus humains…

Vous avez débuté au théâtre, avez collaboré avec des musiciens puis sorti un album et à présent, vous partez en tournée avec ce spectacle musical d’après Raymond Devos. Quelle en est est la genèse ?
C’est arrivé un peu par hasard. La productrice Jeanine Roze, qui organise surtout des concerts de musique classique, m’a proposé de rendre hommage à Raymond Devos, qu’elle admirait beaucoup. Avec l’aide du musicien Antoine Sahler, j’ai donc composé un spectacle-lecture que nous avons présenté au Théâtre des Champs Elysées. Nous avons eu un tel plaisir à le jouer qu’il nous a semblé dommage de ne pas poursuivre l’aventure et d’en faire un véritable spectacle, d’autant que j’affectionne particulièrement cet artiste. Je l’ai découvert sur scène quand j’étais étudiant et j’ai d’emblée aimé la richesse de sa proposition théâtrale. Ses textes ont une vertu comique, ils démontrent une intelligence des mots et des situations et pourtant, on ne parle plus beaucoup de lui aujourd’hui. Quand on pose l’éternelle question de savoir si on peut rire de tout, le débat prend généralement une tournure politique. A contrario, Devos propose une forme de rire et un humour inhabituels, un peu ailleurs que je trouvais intéressant d’interroger.

On sent bien que Devos vous inspire encore : quel rôle a-t-il joué dans votre vie ?
Je me suis nourri de nombreux artistes très différents et Raymond Devos en fait partie. À l’époque où j’ai commencé à écrire, je me suis sans doute beaucoup inspiré de lui, notamment pour mes premiers sketches. Je crois m’en être un peu éloigné, tout comme je me suis détaché de Pierre Desproges et de tous ceux qui m’ont fait rire et dont j’ai admiré l’intelligence. Dans un autre registre, j’aimais aussi beaucoup Guy Bedos que j’allais applaudir avec plaisir. À présent, j’essaie de trouver ma petite musique, d’écrire des choses qui me ressemblent. De toute façon, je pense que pour exister, il ne faut pas tenter de faire comme quelqu’un d’autre. Avant tout, il faut essayer d’être soi-même.

Peut-on considérer ce spectacle comme un hommage ?
À mes yeux, non : lorsqu’on joue une pièce de Molière, on ne dit pas qu’on lui rend hommage. De même, Devos est un auteur dont j’interprète les textes. Je me sers de ses mots, de son écriture pour proposer un spectacle qui ouvre une fenêtre sur l’imaginaire et la poésie.

À la Comète, vous serez accompagné au piano par Romain Lemire1. Comment avez-vous conçu ce spectacle ?
Quand on parle de Raymond Devos aujourd’hui, on le définit surtout comme un spécialiste du jeu de mots et je trouve cela très réducteur. En réalité, il propose tout un univers. Sur scène, c’était un homme de spectacle, de music-hall, d’une grande générosité. Il ne se contentait pas de faire des blagues derrière un micro, il était aussi musicien. C’était un artiste complet et inventif. Nous avons essayé de faire preuve de la même liberté, de nous amuser avec les textes. Certains d’entre eux sont très connus, comme Caen par exemple, qui est devenu une chanson. Nous ne sommes pas toujours restés très fidèles aux textes d’origine parce qu’à mon sens, la meilleure manière de respecter un clown, c’est de s’en amuser et de ne pas coller à tout prix à ce qu’il fait. Quant à la manière de procéder, elle dépend évidemment des textes. Certains sont d’une telle précision qu’il ne faut rien y changer pour qu’ils restent efficaces. D’autres sont plutôt des entrées de clown qui laissent plus de liberté : dans ce cas, je me permets de me fonder sur le principe du sketch d’origine et de le faire un peu plus à ma manière.

France Inter a récemment consacré une soirée spéciale à Pierre Desproges et votre spectacle sur Raymond Devos tournera jusqu’en 2019. Bien que différents, ces deux artistes restés très populaires affectionnaient l’absurde : comment expliquez-vous le succès de ce registre ?
Je pense que si on revient vers eux, c’est avant tout parce que ce sont des artistes d’une grande singularité. Comme Alphonse Allais au XIXe siècle, ils ont fait preuve d’une force d’écriture et d’une inventivité permanente. Faire entendre Raymond Devos est aussi intéressant parce que beaucoup ne le connaissent plus. Ce spectacle peut ainsi être l’occasion de redécouvrir son univers ambitieux, à la fois très simple et très clownesque mais proposant une véritable réflexion sur le monde en abordant les grandes angoisses existentielles.

Ces prochains mois, vous alternez les dates de concerts, de spectacle avec J’ai des doutes et vous produisez la pièce Moi & François Mitterrand : si vous ne deviez plus vous consacrer qu’à une discipline, laquelle choisiriez-vous ?
S’il me fallait faire un choix, je préserverais le plaisir d’être face à un public, car c’est ce qui me mène. Lorsque j’écris, j’ai à l’esprit le fait de monter sur les planches et lorsque je mets en scène, je reste présent sur le plateau. Ce que je garderais le plus précieusement, c’est mon bonheur d’être sur scène.


1 Spectacle composé par Antoine Sahler, jouant en alternance avec Romain Lemire.

À la Comète (Châlons-en-Champagne), lundi 4 et mardi 5 juin
la-comete.fr

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