Les tristesses de l’Ouest

En 150 pages fulgurantes, Éric Vuillard restitue l’épopée mélancolique de Buffalo Bill et de son Wild West Show. Son roman est un voyage aux racines de la société du spectacle.

L’homme est devenu un mythe de son vivant. Les romans populaires se sont emparés de la destinée de William Cody (1846-1917) – alias Buffalo Bill – pour le métamorphoser en légende de l’Ouest. Et il en a profité. Très largement. Il est en effet devenu l’acteur principal, riche et adulé, d’un spectacle pharaonique, le Wild West Show, attirant plus de 40 000 personnes à chaque représentation. Buffalo Bill s’est transformé en bateleur, en caricature de lui-même. Son show tourne dans le monde entier avec ses cow-boys et ses indiens (plus de 800 personnes, 300 chevaux et des dizaines de bisons !) dans une parodie, grandiose et grotesque à la fois, de l’histoire de l’Ouest américain, installant, pour de longues décennies de lourds stéréotypes dans l’inconscient collectif. Avec ce vieux Bill, un massacre – Wounded Knee – devient une victoire militaire des valeureux civilisateurs contre les méchants indiens obscurantistes… C’est cette épopée que narre Éric Vuillard dans un texte fulgurant où l’on croise notamment le vainqueur de Little Big Horn, Sitting Bull (employé pour une saison de cet improbable Barnum), où l’on accompagne cow-boys et indiens hivernant en Alsace : près de Benfeld, « durant quelques mois, les promeneurs ébahis apercevront des Sioux – l’ennui les tirant hors du camp et les poussant vers la ville – tituber ivres morts, rue de la Digue, puis boire l’eau du canal ».

« Des centaines de cavaliers galopent, soulevant des nuages de poussière. On a bien arrosé la piste avec de l’eau, mais on n’y peut rien, le soleil cogne. L’étonnement grandit, les cavaliers sont innombrables, on se demande combien peuvent tenir dans l’arène. C’est qu’elle fait cent mètres de long et cinquante de large ! Les spectateurs applaudissent et hurlent. La foule regarde passer ce simulacre d’un régiment américain, les yeux sortis du crâne. Les enfants poussent pour mieux voir. Le cœur bat. On va enfin connaître la vérité ». Le spectacle de Buffalo Bill est aux racines de l’entertainment moderne, il est la première pierre d’une histoire qui se poursuivra à Luna Park, une histoire dont on ne connaît pas la fin, mais qu’on imagine pathétique, à l’image de celle de William Cody qui avait fondé une ville à son nom dans le Wyoming. La cité n’a jamais pris son essor et compte aujourd’hui mois de 10 000 âmes. Even cowboys gets the blues

Tristesse de la terre est paru chez Actes Sud (18 €)

www.actes-sud.fr

 

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