Les petites filles modèles

La Rue, 1933, The Museum of Modern Art, New York, légué par James Thrall Soby
© Balthus Photo : © 2018. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

Dans une exposition de quarante toiles où est réunie la quintessence de l’œuvre de Balthus, la Fondation Beyeler pose un regard neuf sur sa peinture.

Présenté à la Fondation Beyeler, Thérèse rêvant (1938) provoqua un scandale au Met, où elle est habituellement installée : à l’ère du #Metoo et de la pudibonderie généralisée, une pétition en ligne avait réclamé le retrait du portrait de cette vénéneuse jeune fille en fleurs, fin 2017. Une polémique qui aurait sans doute amusé son auteur, Balthasar Klossowski de Rola (1908- 2001), plus connu sous le nom de Balthus qui se moquait des pisse-froid et autres bien pensants. Célèbre pour ses représentations ambiguës d’adolescentes languides suscitant de troubles séductions, le sulfureux artiste dont les toiles sentent « la peste, la tempête, les épidémies », dixit Antonin Artaud, n’est en effet pas à vouer aux gémonies. Quelques lignes plus bas, le poète écrit, à propos de ses nus : « Rien d’obscène en eux. » Une conclusion à laquelle le visiteur attentif de cette rétrospective ne pourra que souscrire : face aux Enfants Blanchard (1937) ou à Jeune fille endormie (1943), c’est au credo du peintre dandy qu’il se confronte : « Je ne veux que représenter ce qui est derrière l’apparence. » Des adolescentes sont ici saisies dans l’instant fugace où elles quittent l’enfance pour l’âge adulte, rappelant les mots de Louis-René des Forêts dans Ostinato : « Que jamais la voix de l’enfant en lui ne se taise, qu’elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l’éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie. »

Balthus, Le Roi des chats, 1935, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, Donation de la Fondation Balthus Klossowski de Rola, 2016 © Balthus. Photo: Etienne Malapert, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

 

À côté de ce corpus se découvre un Balthus mois connu, celui des paysages (merveilleux Cerisier qui, en 1940, fait figure de bouffée de joie pendant les années de Guerre), des portraits mondains au hiératisme distancié ou des scènes à la composition classique rappelant Piero della Francesca et Nicolas Poussin. Des affinités avec les surréalistes sont aussi perceptibles dans des toiles comme La Rue (1933), théâtre immobile et mélancolique situé à la frontière entre rêve et réalité dans lequel évoluent des personnages étranges. Tout aussi parfaitement scénarisé est Passage du Commerce Saint-André (1952-1954), scène quotidienne suintant d’angoisse. Qu’est-ce qui se joue entre ces différents protagonistes évoluant dans un décor mat, comme recouvert d’un voile gris ? Quel terrible secret est enchâssé dans ce coin de Paris ? Au spectateur de bâtir les contours de sa propre histoire, puisque la clef de l’œuvre, inatteignable, est ironiquement peinte sur une façade. Plus que le maître des lolitas, Balthus est celui du mystère. Il n’est pas étonnant que son animal fétiche – présent dans nombre des toiles – soit celui par lequel il s’est “représenté” dans un génial autoportrait de 1935 : Le Roi des chats.


À la Fondation Beyeler (Riehen / Bâle), jusqu’au 1er janvier 2019
fondationbeyeler.ch

Journée familiale (21/10, gratuite pour les moins de 25 ans) avec ateliers, visites, etc.

Conférence en français de Robert Kopp sur le thème “Balthus entre Rilke, Artaud et Jouve” (31/10, 18h30) et table ronde avec pour thème “Balthus et la question de la liberté de l’art” (07/11, 19h)

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