Les 30 ans des Frac

Sans titre (Je veux dire qu’il pourrait très bien exister, théoriquement, au milieu de cette table[…]), 2008. Œuvre unique, Collection Frac Alsace. Photo © Stéphane Thidet

D’ici fin 2013, les vingt-trois Fonds régionaux d’Art contemporain de France fêteront leur trentième anniversaire. Retour sur une démocratisation de l’accès à l’art et l’un des dispositifs les plus importants de soutien à la création avec Olivier Grasser, directeur du Frac Alsace.

Quelles sont les missions des Fonds régionaux d’art contemporain ?
Ils ont trois missions : soutenir et promouvoir l’art contemporain qui englobe ce que l’on appelle traditionnellement les arts plastiques mais aussi les arts visuels (photographie, vidéo et certains aspects du cinéma), sachant que les champs sont de plus en plus poreux. La promotion consiste en l’achat d’œuvres, la constitution d’une collection et la réalisation d’expositions au Frac ou à l’extérieur qui participent du parcours des artistes, mais aussi aider ces derniers par le biais des outils de l’édition. La diffusion de l’art contemporain est notre seconde mission. La collection du Frac est nomade, sort de ses réserves pour aller au-devant de publics ayant moins d’habitudes culturelles. Nos collections vont dans des zones où les équipements culturels sont moins implantés. Les publics sont scolaires, associatifs, culturels mais aussi celui des hôpitaux, des prisons… la troisième mission est celle de la sensibilisation : accompagner chaque œuvre d’un ensemble d’outils pédagogiques, didactiques ou autres. Une grande variété a vu le jour depuis 30 ans et aide les publics à mieux comprendre les enjeux formels de sens des pièces présentées.

Sections of a Happy Moment, 2007. Projection vidéo noir et blanc sonore (4/3). Durée : 26'. Collection Frac Alsace. Captures vidéos © David Claerbout & Bick Productions

Comment ont évolué vos politiques d’acquisition et d’exposition ces trente dernières années ?
La politique d’acquisition s’est affinée parce qu’à la création des Frac, il y avait un champ entier à investir. Nous commencions une collection avec toutes les questions qui vont avec : quels axes choisir ? Par quoi débuter ? Le terme de fonds, par sa nature même implique une hétérogénéité. On parle beaucoup de collection aujourd’hui, ce qui sous-tend qu’il y a des épines dorsales plus affirmées qu’au début. L’évolution est là, caractérisée par le passage du fonds à un ensemble ressemblant plus à une collection avec des axes thématiques et des lignes de lectures forts. Mais si l’on prend du recul, l’ensemble demeure très ouvert et riche, tout comme il peut être reformulé à l’envi. La seconde évolution a été la conscience de devoir structurer cet ensemble par des lignes spécifiques : en Alsace, nous sommes sensibles aux scènes suisses et allemandes, nous avons beaucoup interrogé la notion de paysage, du territoire, ainsi que, ces dernières années, les questions du sujet et de l’identité. C’est une façon d’acquérir des œuvres en complémentarité les unes par rapport aux autres. Après, nous restons très ouverts sur la question des médiums et des supports : peinture, sculpture, vidéo, son, dessin, photo…

Pour fêter cet anniversaire, vous organisez un Elsass Tour. En quoi consiste-t-il ?
Il y a deux volets dans le projet régional de diffusion des œuvres du Frac : l’Elsass Tour et Pièces montrées. Le premier est une diffusion territoriale du Nord au Sud de la région, dans les vallées transversales des Vosges, avec près de 35 expositions qui s’échelonnent de novembre 2012 à fin 2013. Ces projets réunissent des partenaires scolaires, des lieux variés (bibliothèques…) ainsi que des musées. Ce sont des partenariats dans lesquels nous amenons des savoir-faire, un professionnalisme, une conscience de l’exposition et une connaissance des œuvres. En retour, nous demandons à nos partenaires de s’impliquer dans le choix des œuvres, la médiation et le rapport au public. Le second, Pièces montrées, est une exposition qui débutera en octobre 2013 dans quatre musées, visant à donner à notre collection une reconnaissance muséale qu’elle n’a pas encore : le Musée historique de la Ville de Haguenau, le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, le Frac Alsace et la Fondation Fernet-Branca à Saint-Louis. Pour le commissariat de ces expositions simultanées, ont été associés les équipes des lieux, mais aussi un artiste invité, Raphaël Zarka[1. Lire son interview ici, tirée de Poly n°134] et un commissaire honorifique : Roland Recht[2. Né en 1941, cet historien de l’art français a été Conservateur en chef, Directeur général des Musées de Strasbourg (1986-1993), Directeur de l’Institut d’Histoire de l’art à l’Université Marc Bloch de Strasbourg (1993-2001) et occupe depuis 2001 la Chaire d’Histoire de l’Art européen médiéval et moderne au Collège de France].

Un anniversaire est un regard vers le parcours accompli, mais aussi vers l’avenir. Que souhaitez-vous au Frac Alsace ?
Que nous continuions à rester sur une dimension prospective, que celle de recherche artistique et d’expérience soient maintenues, ce qui n’est pas toujours évident. C’est un champ de recherche et il est important qu’il soit toujours considéré comme cela et pas instrumentalisé par la consommation quotidienne. Outre ce rapport à l’art, le Frac est aussi un outil culturel qui doit trouver la traduction de cette recherche par rapport à des contextes politiques, sociaux et territoriaux.

Elsass Tour, dans toute l’alsace dans plus de 30 lieux, jusqu’à fin 2013 – www.culture-alsace.org
Pièces montrées, expositions d’œuvres tirées de la collection du Frac Alsace au Musée historique de la Ville de Haguenau, au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, au Frac Alsace de Sélestat et à la Fondation Fernet-Branca de Saint-Louis, du 11 octobre 2013 au 9 février 2014Programme complet sur www.culture-alsace.org

Une exposition collective des 23 Frac aux Abattoirs – FRAC Midi-Pyrénées de Toulouse, du 28 septembre 2013 au 5 janvier 2014 – www.frac-platform.com

Cité des arts, Besançon - Kengo Kuma & Associates / Archidev © Nicolas Waltefaugle

Au Frac Franche-Comté
Dans leur tout nouvel écrin de la Cité des Arts de Besançon (regroupant le conservatoire de musique et le Frac, inauguration les 6 et 7 avril), réalisé par Kengo Kuma au pied de la Citadelle Vauban et le long du Doubs, le Frac Franche-Comté démarre de la plus belle des manières sa troisième décennie. Pour l’occasion, l’exposition Tacet regroupera, au Musée des Beaux-Arts de Dole du 22 juin au 8 septembre 2013, des œuvres de la collection choisies par Francis Baudevin.
www.frac-franche-comte.fr

 

Frac Forever

Au Frac Lorraine

En parallèle de Frac Forever (près de deux cent œuvres de sa collection photographique à voir au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 25 février), le Frac Lorraine – 49 Nord 6 Est invite deux créatrices, la polonaise Monika Grzymala et la chilienne Cecilia Vicuña à réaliser des installations immersives et sensorielles, de mars à juin 2013.
www.fraclorraine.orgwww.centrepompidou-metz.fr

Commentaires d’œuvres de la collections choisies par Olivier Grasser :

David Claerbout

Sections of a Happy Moment, 2007. Projection vidéo noir et blanc sonore (4/3). Durée : 26'. Collection Frac Alsace. Captures vidéos © David Claerbout & Bick Productions

« Section of a happy moment fait partie des œuvres majeures acquises récemment. C’est un artiste international qui produit un travail vidéo absolument incroyable. En l’occurrence, voilà un film réalisé par le montage de plus de 3 000 photos, prises dans un grand ensemble immobilier. Cette même scène d’une famille jouant au ballon est immortalisée de 3 000 points de vue différents, assemblés les uns derrière les autres. Techniquement c’est une prouesse interrogeant l’image, mais aussi la photo et la vidéo. Cette œuvre propose aussi un commentaire sur la place de l’individu dans les grands ensembles constituant une situation urbaine en Chine. De plus, elle est dotée d’une très grande poésie des mouvements faits de gros plans et d’autres très larges qui emportent tous ceux qui la regardent. »

Stéphane Thidet

« C’est un jeune artiste dont nous avons acquis l’œuvre en 2011, une installation où il faut penser la salle, la moquette, la lumière et l’objet au milieu. Il crée un rapport poétique et réaliste avec cette table de billard dont le tapis est animé d’un paysage fantastique et organique qui croitrait vers la lumière. Quelque chose de sensible qui est magnifique. »

Ziad Antar

Saint Georges Hotel, 2008, de la série Expired, ensemble dissociable de 6 photographies noir et blanc, 6 x (50 x 50 cm). Collection Frac Alsace © Ziad Antar

« Ce qui se passe au Liban est le révélateur de beaucoup d’événements du Moyen-Orient. Dans ce pays des situations locales complexes entravent la création artistique et en même temps on y trouve un très haut niveau d’enseignement, une diaspora qui essaime dans le monde entier. Paradoxalement, les artistes sont au fait des mouvements de pensée et des enjeux artistiques internationaux. Ils revendiquent leur appartenance et traitent du local – la question de la guerre – avec le danger de devenir anecdotique. Du coup, ils ont une distance souvent étonnante avec cela. Ziad Antar est un de ces jeunes artistes qui a travaillé avec du papier trouvé dans le studio de Hachem Al Madani, un artiste important de Beyrouth qui a photographié un nombre de gens assez incroyable. On a retrouvé ainsi un fond colossal de portraits de la société libanaise sur 20 ans. Ziad Antar a fait des photos sur du papier périmé d’Al Madani, donc sans savoir ce que ça allait vraiment donner. D’où ces images pleines de “bruit”, de personnalités ou de lieux emblématiques de la guerre gardés en l’état pour la mémoire : l’artiste Pistoletto, l’homme politique Walid Jumblat, l’Hotel Saint-Georges, là où a commencé la guerre… Il y a donc un rapport fort dans l’utilisation du médium mais aussi une volonté de dialogue avec le lieu et l’histoire, autant d’enjeux très intéressants. »

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