Le Monde selon Gat

© Emanuel Gat Dance

Dans Brilliant Corners, le chorégraphe israélien Emanuel Gat s’inspire, de manière fort lointaine puisqu’il est totalement absent de la pièce, du jazz de Thelonious Monk pour faire naître et croitre un organisme vivant de dix danseurs balloté par les flots.

Dans un rectangle de lumière blanche et crue, un groupe d’hommes et de femmes va et vient, comme une houle animée, chacun se laissant happer par les courants. Nous connaissions le dénuement des pièces d’Emanuel Gat, l’absence de décor, de costumes particuliers et de tous ces artifices jonchant les plateaux. Voilà qu’il réinvente l’individu dans le collectif : les lignes brisées par ses interprètes concourant quasi incroyablement à l’expression globale d’un corps de ballet éphémère fonctionnant comme un organisme vivant en pleine croissance dont les tentacules l’orienteraient en de multiples désaxements. Les ondes provoquées par les sauts des uns se transmettent en échos aux diagonales des autres avant les chutes en toupie sur eux-mêmes des derniers. Une certaine alliance des contraires s’y dévoile, entre fluidité déliée et pauses statuaires.

Avec des matériaux chorégraphiques communs et apparemment simples, la personnalité des danseurs se révèle au milieu de l’écrin du collectif bouillonnant de vie. Les jeux de miroir, les duos opposés ou alignés virevoltent en d’immenses vagues dont le chaos n’est qu’apparence. Aux éclats verticaux répondent de folles rondes et d’étonnantes ellipses. Le souffle de leurs cassures est rythmé par de rares pauses, respirations au coeur d’une partition musicale expérimentale bien loin de celle (attendue) de Thelonious Monk – Brilliant Corners étant le titre d’un de ses albums sorti en 1957, chéri par Emanuel Gat. Le chorégraphe signe pour la première fois la bande son d’un spectacle. Pour cela, il a mixé des centaines de samples avec son ordinateur, contrepoint séduisant et décalé à « l’organisme chorégraphique » créé par ses soins où interagissent des solitudes dans un conflit qui les dépasse autant qu’elle les rassemble. L’intimité humaine se laisse approcher comme rarement, l’œil happé par des détails conserve malgré tout une vue d’ensemble stupéfiante. Cette leçon de simplicité et de complexe harmonie renvoie les dernières tentatives (géo)métriques d’Anne Teresa de Keersmaeker à une écume d’échec échoué sur la plage de son cadet israélien.

À Strasbourg, au Maillon-Wacken (coréalisé par Pôle Sud), du 12 au 14 mars
03 88 27 61 81 – www.maillon.eu
03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr
À Mulhouse, à La Filature, vendredi 15 mars
03 89 36 28 28 – www.lafilature.org
www.emanuelgatdance.com
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