Daydreaming

Danielle Voirin

Chorégraphe atypique, Gaëlle Bourges présente plusieurs de ses dernières pièces dans le Grand Est. Des confrontations entre images, discours, art, mécanismes sociopolitiques et corps.

« Inventer des machines à réfléchir des images dans lesquelles langues (les récits) et corps (les actions) s’interpénètrent pour creuser des voies dissidentes. » Ainsi Gaëlle Bourges définit-elle le sillon qui est le sien dans un milieu de la danse dont elle pousse allègrement les cloisons parfois étriquées. Depuis les années 2 000, la cinquantenaire dissèque à sa manière les rapports entre corps, regard et discours dans l’histoire de l’art. Celle qui a été jusqu’à devenir strip-teaseuse, approchant au plus près le mouvement du désir et de l’érotisme pour nourrir ses créations, nous emporte aujourd’hui dans des contrées variées, mais toujours érudites. D’un livre de l’historien Patrick Boucheron autour de la fresque peinte au XIVe siècle par Ambrogio Lorenzetti dite Des Effets du bon et du mauvais gouvernement, elle tire Conjurer la peur, critique des mécanismes du pouvoir. De notre propension à nous laisser gouverner jusque dans l’intime et le quotidien.

Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie n’étant jamais loin. Tableaux vivants, scènes en apparence plus singées que dansées autour d’une description où se disputent éloquence et humour pour décrire avec brio les neuf mauvais conseillers – le gouvernement des élus de la bourgeoisie dans la Sienne de l’époque – qui entourent Tyrannie du côté du mauvais gouvernement. S’y succèdent le premier nu à valeur positive du Moyen-Âge ou encore les vices de Tristesse qui ronge les robes des interprètes dans une farandole mélancolique de joie forcée pour faire face à la menace de reprise du cycle de guerre après la paix, etc.

Danielle Voirin

Ce point de bascule du spectacle ouvre sur un vrai beau programme politique du côté du bon gouvernement : « Occuper son esprit et son intelligence à toujours soumettre chacun à la justice. » Avec le planant Daydreaming de Radiohead en fond sonore, se tisse alors un récit plus intime, un parallèle avec les grands tyrans et petits tyranos actuels, la violence symbolique qui nous entoure, lorsqu’elle n’est pas physique. Rejouant les mêmes gestes que lors de la première partie, le potentiel chorégraphique se révèle là où il était précédemment totalement mis sous l’étau des mots. Dans Ce que tu vois, c’est une autre fresque qui l’intéresse, toujours entre bien et mal, la tapisserie de l’Apocalypse d’Angers. Elle l’approche par la critique des images en confrontant le livre de Jean à des récits plus contemporains comme le texte de La Jetée de Chris Marker. Pour les plus jeunes, Gaëlle Bourges plonge dans Revoir Lascaux avec les quatre ados ayant découvert la grotte. Sur une voix off à la narration précise, elle bâtit une scénographie à la dimension plastique fascinante. Entre vidéoprojection et ombres chinoises réalisées avec lampe d’iPhone et figurines de jouets, ce cyclorama déploie le bestiaire des découvreurs et modifie les échelles pour mieux reproduire leur stupeur. Avant une intemporelle danse païenne, enivrée d’images, sur une electro smooth avec masques en carton…


Revoir Lascaux (dès 6 ans), à Pôle Sud (Strasbourg), du 13 au 15 novembre présenté avec le TJP
tjp-strasbourg.com

Conjurer la peur, à Pôle Sud (Strasbourg), mardi 4 et mercredi 5 décembre
pole-sud.fr

Et aussi au Manège (Reims), Ce que tu vois, jeudi 29 et vendredi 30 novembre et Le Bain (dès 6 ans), du 18 au 23 mai 2019
manege-reims.eu

gaellebourges.com

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