La mort immortalisée

James Ensor, Le Coq mort,1894 © Kunsthalle Mannheim © VG Bild-Kunst, Bonn 2011 (Photo : Margita Wickenhäuser)

Dans La Beauté et la Mort, plus de 120 œuvres retracent l’histoire de la nature morte animalière. Lièvres, canards, chevreuils, homards, perdrix, brochets… Tout un bestiaire à jamais immobile.

Le parcours débute avec un Canard mort, aquarelle d’Albrecht Dürer qui écrivait : « En vérité, l’art est dans la nature et il faut l’y aller chercher », une phrase qui pourrait être le credo de cette passionnante exposition. Il s’achève par Faisan, une photographie en noir et blanc de Robert Mapplethorpe (1984) : si près de 500 ans séparent ces œuvres, elles n’en entretiennent pas moins une singulière parenté. Les deux volatiles figés dans la rigidité du trépas produisent en effet une impression similaire sur le visiteur montrant la permanence, à travers l’histoire, d’une thématique aux résonances multiples : simples études anatomiques, affirmation de la richesse et de la puissance des commanditaires, réflexion sur la fugacité de l’existence – l’homme n’est-il pas in fine un animal comme les autres ? – ou encore exaltation mystique de la richesse et de la beauté de la création divine. Entre ces deux pôles temporels se déploient des œuvres d’une grande diversité, tour à tour gaies, mélancoliques, austères, sereines, frivoles, décoratives…

Jean Siméon Chardin, Perdrix morte, poire et collet sur une table de pierre, 1748, Städel Museum, Francfort, Photo : Arthothek

Parmi les multiples artistes présentés – Rubens, Rembrandt, Sisley, Goya, Ensor, Beckmann, Soutine etc. – certains sont de véritables maîtres du genre. Il en va ainsi de Frans Snyders (1579-1655) et de ses fascinants amoncellements d’animaux morts : dans Le Marché aux poissons, anguilles, crabes ou esturgeons s’empilent dans un pathétisme intensément baroque formant une pyramide d’écailles mouvante aux reflets argentés qui donne le sentiment d’une opulence vaguement gluante. Pensons également à Jan Weenix (1642-1719), un des derniers représentants de l’âge d’or hollandais. Ses multiples natures mortes au gibier composées avec sophistication sont le reflet du mode de vie des plus riches – on aperçoit souvent un château ou un parc en arrière-plan – et de leur passion favorite : la chasse. Baignées de luxe et d’élégance, ces toiles raffinées fourmillent de détails : un papillon volète autour d’oiseaux morts, un olifant de corne est délicatement placé à l’avant-plan… « On s’en approche et on s’en éloigne avec le même étonnement. Weenix réussit à insuffler la vie à des créatures qui en sont privées » écrivait Goethe à propos d’un artiste qui a su, avec virtuosité, aller au-delà de la réalité, un moyen de transcender et de surpasser la nature, en quelque sorte.

À Karlsruhe, à la Staatliche Kunsthalle, jusqu’au 19 février (visites guidées en français les samedis et dimanches à 14h30)
+ 49 721 926 33 59 – www.kunsthalle-karlsruhe.de

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