La femme piège

Photo de répétition d’André Muller

Maman et moi et les hommes nous plonge brutalement au cœur des relations mère- lle, explorant les questions de la filiation et du poids du passé.

Knatten, Norvège, 1943. Dans un village à l’isolement quasi insulaire, Gudrun et Sigurd se marient, pour le meilleur mais bientôt pour le pire, car ce dernier quitte mystérieusement le foyer peu après la naissance de leur fille, Liv. Cet abandon les précipitera irrémédiablement dans le malheur. De la première à la dernière réplique de Maman et moi et les hommes, presque soixante années s’écoulent. Nous suivons le destin de trois générations, de l’immobilisme des fjords scandinaves aux perspectives new-yorkaises avortées : trois héroïnes, de mère en fille, rejouent le même échec relationnel avec les hommes. Une œuvre « questionnant ce que nous sommes et l’héritage qui nous détermine inconsciemment » selon le metteur en scène Serge Lipszyc, curieux de tous les genres et poursuivant ainsi son exploration du théâtre contemporain avec ce texte « ne reniant pas ses origines antiques ». Singulière, cette première pièce du norvégien Arne Lygre se distingue par sa distribution : les six rôles sont en effet pensés pour n’être joués que par trois comédiens.

Photo de répétition d’André Muller

Une aubaine pour Muriel Inès Amat, Fred Cacheux et Aude Koegler, poussés à déployer leurs talents « sans filtre ni pudeur » à un rythme effréné dans une succession de tableaux cyclothymiques : des scènes ponctuées de dialogues très courts, quasiment cinématographiques, où la tension suscitée par la violence ne retombe qu’à la faveur d’un usage inattendu de l’humour… Et du silence. Ce silence en dit « parfois bien plus que les mots » et constitue un véritable « espace de réflexion » pour le spectateur. Entre les dialogues se glissent quelques instants narratifs laissant les personnages devenir conteurs de leur propre histoire. Le choix d’une mise en scène bi-frontale place le spectateur « au plus près de l’action », offrant la proximité nécessaire pour s’immerger dans les méandres de leur vie intime. L’œuvre attire notre attention sur le poids de l’héritage familial inconscient qui, à la manière d’un péché originel, entraîne une inéluctable chute. Un cercle vicieux dans lequel les victimes s’enferment, devenant elles-mêmes bourreaux, en opposition ou en répétition des souffrances qu’elles ont subies : imprégnée des névroses de sa mère, Liv s’arrache ainsi, à son tour, des bras de sa fille… Et c’est vainement que chacun tente de lutter contre ce mauvais sort.


À la Comédie de l’Est (Colmar), du 15 au 25 mai
comedie-est.com

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