L’origine du moderne

La Vague, vers 1869, Brooklyn Museum, donation de Mrs. Horace Havemeyer

À la Fondation Beyeler se déploie une exposition consacrée à Gustave Courbet : ordonnancées thématiquement, quelque soixante toiles, dont la célébrissime Origine du monde, permettent de mesurer l’influence déterminante du peintre sur l’art moderne.

Révolutionnaire ? Gustave Courbet (1819-1877) le fut avec sa palette et ses pinceaux. Il peut ainsi être considéré comme un des précurseurs de la modernité grâce notamment à un traitement novateur des couleurs ou d’allègres transgressions dans la représentation des corps nus. Il fut aussi un sympathisant des “quarante-huitards” et un proche de Proudhon, déclarant en 1865 à sa disparition : « Nous restons sans boussole, et l’humanité et la révolution à la dérive sans son autorité, va retomber entre les mains des soldats de la barbarie. » Participant ensuite à la Commune de Paris de manière plus bravache que politique, il est accusé d’avoir fait détruire la Colonne Vendôme et lourdement condamné à payer sa réédification. En 1873, pour échapper à ces stratosphériques réparations, il s’exile en Suisss où il finit son existence, entre sublime peinture et dive bouteille.

Les couleurs de la nature Qu’il représente les sites emblématiques de son Jura natal, des paysages de neige ou le moutonnement de la mer, Courbet se dégage des modèles chromatiques antérieurs, désirant, comme il l’écrit, « puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de [s]a propre individualité ». Pour le commissaire de l’exposition Ulf Küster, il « n’est guère d’exemple antérieur où l’on puisse voir un artiste mettre pareillement l’accent sur son individualité ». Cette vision, « encore pleinement valide aujourd’hui » fait déjà du peintre un moderne qui utilise la couleur de manière très inhabituelle au milieu du XIXe siècle, se servant notamment du couteau pour appliquer directement les pigments sur la toile. Le résultat ? Une impression saisissante, comme si la nature possédait une prégnance extraordinaire, presque surnaturelle. Ses représentations émerveillèrent Cézanne. « Son grand apport, c’est l’entrée lyrique de la nature, de l’odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt dans la peinture » écrivait-il, allant encore plus loin à propos d’un des motifs préférés de Courbet, la vague: « On la reçoit en pleine poitrine. On recule. Toute la salle sent l’embrun. » La sensation est particulièrement évidente à Bâle dans un espace consacré aux paysages de neige où le jeu des ombres – souvent nimbées de bleu – ouvre la voie aux Impressionnistes. La couleur semble la matrice grâce à laquelle la nature se structure comme dans La Roche pourrie, étude géologique. Le jeu entre le clair et le sombre est permanent, le premier cédant souvent face au second : « Cela vous étonne que ma toile soit noire ! La nature sans le soleil est noire et obscure. Je fais comme la lumière, j’éclaire les points saillants » expliquait Courbet.

La texture des corps Dans l’exposition sont présentés trois immenses nus, des femmes, seules ou à plusieurs, se baignant dans les eaux d’une source ou d’une rivière. La vision des corps, éloignée de tout académisme, ne plut guère aux spectateurs des années 1860. Delacroix, en particulier, déteste ces chairs lourdes et sensuelles d’où sourd une puissante charge érotique, violemment animale. Dans ces carnations rendues avec un naturel cru, se révèlent toutes les imperfections. Ces formes si généreuses qu’on dirait accentuées anticipent certaines silhouettes de Renoir. Courbet refuse toute idéalisation. Loin, très loin d’Ingres, par exemple. Star de l’exposition, L’Origine du monde est curieusement environnée. Alors qu’on aurait pu imaginer cette image culte seule dans une salle, laissant le visiteur face à ses interrogations métaphysiques ou non, elle est accompagnée de fleurs (dont un charmant et paisible Bouquet d’Asters) et de paysages humides qui semblent construits autour d’un centre obscur comme La Source du Lison, grotte aquatique et mystérieuse. Ce triptyque conceptuel laisse quelque peu pantois tant la symbolique qu’il induit semble kitsch et un brin pesante, mais cela ne trouble guère les visiteurs qui tentent de tromper la vigilance des gardiens pour faire des selfies en compagnie du plus mythique des sexes féminins délicatement entr’ouvert sur l’avenir de la peinture.

À Riehen (dans le canton de Bâle-Ville), à la Fondation Beyeler, jusqu’au 18 janvier 2015

+41 61 645 97 00 – www.fondationbeyeler.ch

 

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