L’homme aux mille visages

Photo de Jean-Claude Durmeyer

Peintre, sculpteur, designer, homme de télévision et graphiste, Freddy Ruhlmann était un créateur protéiforme. Une exposition présentée par la Maison de la Région rend hommage à cet humaniste natif de Strasbourg pétri d’une insatiable curiosité.

Qu’y a-t-il de commun entre le Trophée du Prix d’honneur de la Fondation Alsace, le service du Lycée hôtelier Alexandre Dumas, un documentaire sur Tomi Ungerer intitulé À angle droit, des peintures aux couleurs vibrantes inspirées par le Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen, la maquette du Nouveau Dictionnaire de biographie alsacienne et une étiquette toute en épure pour le domaine Marc Kreydenweiss ? Tous sont l’œuvre de Freddy Ruhlmann (1941-2004). Une exposition permet de mieux connaître un homme trop discret dont on n’avait guère eu la possibilité de voir, jusque-là, l’œuvre peint et sculpté. L’occasion est belle de découvrir des toiles où se mêlent les matières (bitume de Judée, pâte d’acier…) à la composition rigoureuse : ici, un visage à peine esquissé, la bouche grande ouverte semblant pousser un silencieux cri – Munch n’est pas loin – au cœur d’un maelström d’une intense tristesse de pigments rouges et bleus. Là, des carrés de couleur forment des assemblages verticaux d’une grande douceur et d’une implacable logique, rappelant avec force que Nicolas de Staël fut une figure tutélaire pour l’artiste alsacien. Ailleurs encore se découvre une variation graphique inquiétante sur les Pièces de guerre du dramaturge britannique Edward Bond, où se glisse, presque par effraction, un éclat d’espoir.

Une tête de profil revient de manière obsessionnelle dans les peintures et les sculptures, évoquant, à la fois, les personnages emblématiques de l’œuvre graphique de Jean Cocteau et les visages tant de fois dessinés par Camille Claus dans l’attachante mythologie rhénane qu’il créa. Cette “signature” de Freddy Ruhlmann possède pourtant une belle singularité. Elle se retrouve sculptée dans l’ardoise (un homme et une femme se font face, se rejoignant dans un muet et tendre baiser), à peine esquissée sur le papier, comme une trace évanescente, parfois à peine perceptible, ou encore stylisée, réduite à ses traits essentiels, dans les dorés Témoins du siècle et du millénaire. Ces dernières sont de petites figurines trapues et sensuelles inspirées des statuettes placées dans les maisons sumériennes pour susciter la réflexion chez leur propriétaire. « Impératif et attentif, totalement perméable à l’essentiel, il est sentinelle et repère » écrivit l’artiste à propos de l’un d’eux… comme un fulgurant résumé de cette exposition.

À Strasbourg, à la Maison de la Région, jusqu’au 28 novembre
03 88 15 68 67 – www.region-alsace.eu

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