Je crois

Comédienne, réalisatrice et chanteuse, Rachida Brakni bouffe la vie et croque la création à pleines dents. Rencontre avec une femme qui a la foi, autour d’un thé à la menthe, sur la terrasse du Théâtre national de Strasbourg. En quoi tu crois, Rachida ?

 

En un seul Dieu

Absolument bluffante dans Je crois en un seul Dieu présenté en juin au TNS, Rachida Brakni nous retrouve sur le parvis du théâtre. Une liane, un nerf. La comédienne, très en forme en ce petit matin, a pourtant vécu une épuisante soirée totalement schizo, incarnant trois femmes, en solo sur le plateau : Eden Golan, professeure israélienne, Shirin Akhras, étudiante islamique, et Mina Wilkinson, militaire américaine, en passant de l’une à l’autre avec aisance, en évitant la “performance d’actrice”. Rachida Brakni a été coachée par le chorégraphe Loïc Touzé qui a imaginé une présence corporelle à chaque personnage. Un travail minutieux pour un spectacle qui la vide à chaque représentation. « Cette pièce me déglingue. Je suis seule sur scène avec ces trois femmes qui m’abîment ! » La comédienne enchaîne : « Le texte de Stefano Massini, mis en scène par Arnaud Meunier, est formidable car c’est “un monde sans procès” comme le disait Roland Barthes. Il fait cohabiter trois destins diamétralement opposés, sans imposer de vision binaire. J’aime les nuances de gris, surtout pas le passage du noir au blanc. On souffre cruellement de ça aujourd’hui : du rétrécissement de la pensée qui t’oblige à te conforter à une ligne idéologique. » Je crois en un seul Dieu et son premier film Rachida Brakni, De sas en sas1, ont ce point commun : dans un huis clos, ils dressent le portrait de femmes très différents qui se rencontrent par la force des choses. « L’École de la République est censée brasser les populations, mais ça n’est pas le cas. Il faut trouver des endroits où les points de contact peuvent avoir lieu. »

 

En sa bonne étoile

Corps sec et cœur gros, la jeune Rachida a abandonné l’idée de devenir avocate pour bifurquer vers des destinées théâtrales et cinématographiques, convaincue « de la vertu de l’Art pour rendre compte de la société. Récemment, j’ai visité l’exposition de Kader Attia & Jean-Jacques Lebel au Palais de Tokyo : leur propos me touche, m’interroge. Ces artistes ouvrent des fenêtres insoupçonnées et posent des questions que l’on ne se pose pas. » Pour le grand écran, elle multiplie les collaborations : un moteur ! « Jusqu’à présent, je n’ai pas eu besoin de solliciter quiconque : je travaille au gré de mes rencontres. Je crois en ma bonne étoile ! » Elle a tourné avec Téchiné, Wargnier ou même HPG : son parcours cinématographique semble athlétique, mais tous ces réalisateurs sont mis sur le même plan. « Je me sentais un peu en marge au Conservatoire, car je pensais que la comédie était un sport de riche. Tout nous oppose avec Hervé-Pierre Gustave mais nous nous retrouvons là-dessus, n’ayant tous deux jamais aimé l’aristocratie du monde du cinéma. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai voulu travailler avec des non-professionnels sur De sas en sas. HPG est d’une grande poésie : pudique et délicat, il interroge le corps comme personne. Lorsque j’ai tourné Les Mouvements du bassin – notamment en compagnie d’Éric Cantona, mon mari – il m’a expliqué être gêné par les scènes d’amour au ciné, car elles semblent souvent factices, sentant la distance entre les deux êtres. Il tente de remédier à ça avec ses films… Les acteurs porno sont méprisés alors que je ne me situe pas au-dessus d’eux. De toute façon, la comédie est un métier de pute comme disait Mastroianni »

 

En sa double culture

« J’observais le monde mais sans le recul nécessaire, alors je suis allée vivre au Portugal il y a un peu plus de deux ans, au moment de la proposition de loi de Valls sur la déchéance de nationalité. Mon mari ne voulait pas retourner en Angleterre, alors nous avons choisi ce pays que nous aimons beaucoup. La langue portugaise est traversée de mots arabes et lorsque je vais dans le quartier d’Alfama à Lisbonne, j’ai l’impression d’entrer dans la Casbah d’Alger ! On vit différemment au bord de l’eau. Je n’ai jamais mis de couvercle sur mon héritage, ma double culture : l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit. Je suis profondément française, de manière viscérale, mais je voulais changer d’air. C’est comme dans une histoire d’amour : au début, tu as besoin de ta came comme un drogué, mais tu dois te sevrer pour un rapport équilibré. »

 

En ses héros

Ses héros sont Christiane Taubira, Édouard Glissant ou… le très médiatique Éric Dupond-Moretti. « Je suis si fan qu’un jour je lui ai dit que je l’aimais en le croisant dans la rue », confie Rachida, telle une ado transie par des personnalités qui l’impressionnent, des individualités fortes, jamais des groupes, se méfiant des phénomènes de masse comme #MeToo. « Je crois en l’homme…  enfin ça dépend des jours, ça fluctue », souffle-t-elle. Son héroïne pour la vie se nomme PJ Harvey : « Je suis une inconditionnelle de la mélancolie de cette chanteuse que j’écoute toujours avant d’entrer sur scène et que j’ai récemment vue en concert à Lisbonne. J’aime également beaucoup Nick Cave, Cigarettes After Sex ou Mélanie de Basio. » Les artistes qui lui ont donné le goût de la musique et, peut-être, envie de sortir son premier album2 ? Des amours de jeunesse : New Order, Joy Division ou Cure. « Ado, j’étais curiste, avec les cheveux rasés sur les côtés, la chemise longue et le trench noir. Une admiratrice de Cure dans la cité, où tout le monde est en survêt’ Lacoste, ça détonnait ! »

Photo de Vincent Muller pour Poly

vous pourriez aussi aimer