Tout pour ma mère

De concert avec Magali Mougel qui lui a écrit Hippolyte, la metteuse en scène Catherine Javaloyès se frotte, dans sa prochaine création au Taps, à une figure de la jeunesse d’aujourd’hui, bien décidée à dire non.

Se réconcilier avec les anciens en restant ancré dans le contemporain. Revisiter le Phèdre de Sénèque en s’intéressant au fils adoptif, Hippolyte en quête de sa mère biologique, Antiope, volée et violée. Forcément manquante. En dix-sept courtes scènes, Magali Mougel nous convie autour d’une nuit de la Saint-Sylvestre, sur les bords de la Loire, « entre les feux et les artifices », au cœur d’une fratrie éclatée. Un père impatient de fuir à l’autre bout du globe recouvrer sa liberté et perpétuer sa toute puissance par son écrasante absence tandis que sa “dernière femme” reste seule à se consoler avec ses bouteilles de gin-curaçao, entre des jumeaux tyranniques et perclus de haine pour cet aîné qui n’est pas le leur, mutique et décidé à retrouver sa mère, la vraie. « J’avais envie de parler de la jeunesse d’aujourd’hui, cette pièce cruciale de la société de demain. Hippolyte est une figure de l’anti-héros qui ne se révolte plus comme avant, mais à sa manière, en silence… » confie Catherine Javaloyès, œuvrant avec l’auteure entre politique et intime.

Dans les détails se joue le miroir entre l’antique et l’actuel : sacrifice de l’étrangère, Ebru, amoureuse de cet adolescent attirant dans son refus du monde à la Thoreau, trouvant refuge dans la forêt et contaminé par la violence de la nature où se fait jour “l’humanimalité” chère à Magali Mougel, tourisme sexuel au pays où « les noix de coco sont tellement fraîches », États-Unis d’Amérique comme un mirage aussi joyeux que factice, tabou incestueux… Pour donner corps à ce drame, à l’insoutenable énigme autour des origines et au poids des modèles familiaux dont chacun hérite, la metteuse en scène a fait appel à Étienne Champion, facteur de masque signant aussi la scénographie. Sur un tapis de danse réfléchissant, une forêt de PVC avec ses coudes et gros tuyaux prend forme devant deux cyclos aux ombres mouvantes. Le créateur a imaginé trois masques en métal dans une matière à pics, délicats à manipuler de par leur taille autant que leur poids : Thésée (le père), Phèdre (la mère) et Hippolyte (le fils qu’elle essaie de séduire avant de l’accuser d’avoir abusé d’elle). La rudesse des jumeaux est rendue par deux pavés sculptés, se frottant l’un à l’autre. Cette matière à jouer laisse une grande liberté d’adresses et de codes de jeux, dépassant les simples marionnettes qu’on agiterait pour devenir des appuis, des surfaces de projection, des prolongements de l’âme damnée de ce cloaque dont s’extirper relève du miracle.

> Au Taps Laiterie (Strasbourg), du 14 au 19 novembre
> Au Point d’eau (Ostwald), vendredi 2 et samedi 3 février 2018
> À la Salle Europe (Colmar), mardi 20 février 2018
> Au Musée Würth (Erstein), dimanche 25 février 2018
compagnie-letalonrouge.fr

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