Hélène, je m’appelle Hélène

Femme de Tanger 1949, Collection privée Photo : Ch. KEMPF

Difficile d’imposer son prénom lorsqu’on est la sœur de la plus célèbre des Simone. Hélène de Beauvoir, sort de l’ombre, le temps d’une exposition au Musée Würth.

Hélène de Beauvoir (1910-2001) n’est pas qu’une “sœur de”, mais aussi une “femme de”, contrainte de suivre son diplomate de mari (depuis 1942), Lionel de Roulet, appelé au Maroc, au Portugal, en Italie ou même en Alsace. Suite à la nomination de son époux au Conseil de l’Europe en 1958, le couple s’installe à Goxwiller dans un ancien corps de ferme où elle poursuit ce qui l’anime depuis son plus jeune âge : la création artistique. « Toute jeune, elle aimait dessiner », écrira Simone à propos d’Hélène qui intègre l’École Art et publicité de Paris en 1928. Si ses voyages nourrissent son œuvre, ses nombreux déménagements joueront en défaveur de sa carrière. En 1936, elle expose à la galerie Bonjean à Paris, remarquée par Picasso himself qui, selon l’intéressée, apprécie son art. Une petite poignée d’années plus tard, elle quitte la capitale pour rejoindre Lionel et sera « coupée dans son élan » comme le résume, lapidaire, Claire Hirner, commissaire de l’expo. Le scénario se reproduira en 1960 quand la Manufacture des Gobelins lui commande une tapisserie : alors que les regards se tournent en n à nouveau vers elle, son compagnon prépare les bagages pour Strasbourg. « Lorsqu’on quitte Paris, on quitte tout », affirméra Hélène, lasse…

Illustrations inédites pour Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde (1890)
Vers 1930, Gravure sur bois, Collection Ute Achhammer, APP München

Et si sa non-reconnaissance était simplement due à un déficit de talent comme le pense sa sœur qui aura des mots très durs envers elle, voire à un manque de “touche” propre ? Proche de Sonia Delaunay, elle aura sa phase abstraite aux couleurs fauves. En Italie, elle se nourrira de futurisme, conquise par ce courant. Elle vénère le cubisme et, tout schuss, glissera sur les pentes fractionnées de mon- tagnes enneigées. « En recherche constante d’un style », selon Claire Hirner, Hélène de Beauvoir ne convainc pas ses contemporains. Elle illustre Colette ou Wilde en réalisant des séries de gravures… mais ne sera jamais publiée ! Dommage : dessinatrice avant d’être peintre, c’est une excellente croqueuse qui possède un impressionnant coup de crayon et de burin. Ses gravures sur bois faites pour accompagner Le Géant égoïste d’Oscar Wilde (1928) sont admirables. Tout comme l’étonnante plaque de plexiglas gravée de 1970 avec des femmes nues menacées par une horde d’animaux sauvages. Hélène, artiste engagée (pour Mai 1968 ou le féminisme) ne jouit pas de l’indépendance de sa sœur qui affirma qu’« on ne naît pas femme, on le devient ». Hélène passe sa vie à tenter de se faire une place à côté de celle qui l’écrase de son aura, s’émancipant tant bien que mal d’une édu- cation bourgeoise et catholique asphyxiante et du poids d’un père qui avance qu’« une femme n’est pas créatrice ».

Autoportrait, 1955, Collection privée, Photo : Ch. KEMPF

Au Musée Würth (Erstein), jusqu’au 9 septembre
musee-wurth.fr

Hélène, l’autre 2 Beauvoir du Théâtre de Choucrouterie, dimanche 29 avril (17h), dans le cadre de l’exposition
theatredelachouc.com

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