Love & hate

Photo de Jan Hustak

Depuis la froideur de leur Norvège, deux performeuses du collectif T.I.T.S. font exploser les représentations de la femme et les questions du désir et de la violence dans Forced Beauty.

Elles pourraient rejouer La Mort vous va si bien avec leurs petites robes ajustées et leurs talons hauts, cet air de dire “n’y pense même pas” et la peau tirée façon chirurgie esthétique new look. Lærke Grøntved et Nela H. Kornetová se sont rencontrées à la Norwegian Theatre Academy de Fredrikstad. Y est né T.I.T.S., acronyme d’un premier spectacle intitulé Trumpets in the Sky. Le souffre provocateur du terme – équivalent de “nibards” en français – deviendra leur blason. Le ton est donné, le collectif ne fait pas dans la demi mesure. Loin de beautés désespérées, les Forced Beauty ont des couches de bienséances à ravager, de comportements socialement entendus et attendus à piétiner avec allégresse. Ici se miment les pulsions les plus sauvages au milieu d’un bon aloi de circonstance, de sourires de façade rendus inquiétants par ce qui couve à l’intérieur. Ainsi Nela massacre-t-elle sa coupe en vaguelettes laquées bien ordonnées, s’arrachant des touffes avec son peigne. L’air de rien ou presque, regard aussi fixe que le visage demeure impassible… et d’autant plus flippant.

Photo de Jan Hustak

L’entreprise performative de déconstruction de Forced Beauty broie les images parfaites, abîme avec méthode tout ce qui est propre et lisse, explore le plaisir de la douleur, celui de la provoquer comme de la subir dans un jeu de miroir pervers et ambigu. Entre désir et domination, soumission corde au cou et érotisme cru, leur corps à corps passe par la danse de couple pour lancer une bataille où chacune s’arc-boute pour prendre le dessus, se cherche, s’attire, s’accroche… La sensualité d’un baiser jamais advenu tourne les têtes. Croquer dans une branche de céleri fait se tendre le corps de sa moitié, siroter langoureusement un jus de tomate entretient l’envie d’une possession comme la chimère d’un pouvoir sur ses émotions. Se jouant de nous, les performeuses n’oublient guère longtemps de détourner les images créées devant la caméra portée au poing par l’une. Le jus visqueux répandu sur le visage et le décolleté de l’autre, s’il est plus que suggestif, n’entraîne qu’un peu plus de tension. L’hyper sonorisation du plateau trouble les perceptions sensorielles. Inversion des rôles dominant-dominé, les simulacres laissent parfois place à de vraies claques avant d’aboutir à un énième cliché (dé)joué, de cases envoyées valdinguer à côté de leurs préjugés : corps huilés pour un affrontement exagérément ralenti de catch en petite tenue précédent une joute verbale montrant que les deux blondes n’ont rien à envier à la gouaille injurieuse et trash des plus beaux spécimens d’Homo sapiens sapiens ayant traversé le temps.


Au Maillon-Wacken (Strasbourg), du 29 au 31 mai (dès 14 ans)
maillon.eu
> Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue du spectacle, mercredi 30 mai

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