Filles sans joie

François-Rupert Carabin, Groupe de quatre femmes nues, entre 1895 et 1910, Paris, Musée d’Orsay © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt

Sous l’intitulé très balzacien de Splendeurs et Misères, le Musée d’Orsay accueille une passionnante exposition sur les images de la prostitution de 1850 à 1910.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, entre le Second Empire et la Belle Époque, la prostitution devient un sujet artistique embrassant tous les médias (peinture, sculpture, photographie ou encore cinéma balbutiant) et transcendant les courants, du naturalisme à l’impressionnisme ou au symbolisme. « Il se trouve, en cette idée de la prostitution, un point d’intersection si complexe, luxure, amertume, néant des rapports humains, frénésie du muscle et sonnement d’or, qu’en y regardant au fond le vertige vient », écrit Gustave Flaubert. Tel est exactement le sentiment qui saisit le visiteur face à ces 280 et quelques œuvres. Élégance de la courtisane, demi-mondaine évoquant Nana se pavanant à l’opéra couverte de plumes, le regard masqué par un loup de velours noir chez Henri Gervex, fleur de pavé mélancolique et provocante peinte par Maurice de Vlaminck ou frénétiques catins dans un quelconque claque prises dans une ronde sans joie avec des matelots saisis par Félicien Rops : les artistes développent une nouvelle esthétique des corps. Ils trouvent des modèles dans tous les avatars des cocottes qui peuplent la cité, des trottoirs crasseux aux lupanars les plus selects, en passant par tous les assommoirs possibles et imaginables. Vincent van Gogh (dans Au Café), Edgard Degas (avec L’Absinthe) ou Henri de Toulouse-Lautrec, qui partagea l’intimité des prostituées, leur donnent un visage pour l’éternité, captant la délicatesse et la douceur de scènes intimes que le client ne voit pas. Cette vision pleine de tendresse se retrouve dans la douceur d’un Noël au bordel d’Edvard Munch ou dans les photographies alanguies très 1900 de l’alsacien François-Rupert Carabin. Souvent néanmoins, c’est le sordide envers du décor qui est au centre du propos. Il en va ainsi de la violence d’une étreinte rendue par František Kupka (Gigolette et débardeur) ou dans un pastel terrible et glaçant d’Émile Bernard au titre évocateur, L’Heure de la viande : dans une atmosphère rougeâtre et blafarde, des corps encore verticaux, en route vers une étreinte – désespérée pour les uns, désespérante pour les autres – se rapprochent furtivement donnant sa ligne directrice très shakespearienne à l’exposition : « Horrible est le beau, beau est l’horrible. »

À Paris, au Musée d’Orsay, jusqu’au 17 janvier
01 40 49 48 14 – www.musee-orsay.fr

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