Femme fatale

Continuant à tisser le lien entre danse et arts plastiques, la metteuse en scène Gisèle Vienne présente un spectacle chorégraphique ardent à l’esthétique op’ art, pour le meilleur et pour The Pyre.

Pièce tripartite et hypnotique glissant de l’abstraction la plus totale vers la narration littérale, The Pyre met en scène une femme, la danseuse Anja Röttgerkamp, effectuant un solo infernal dans un environnement proche de l’art cinétique, sorte de discothèque du troisième type. À bout de souffle, elle se meut dans un tunnel de diodes électroluminescentes. Son corps est comme sculpté par les lumières, tels des scalpels étincelants, tandis que l’espace est habité par la matière sonore, une création musicale mêlant guitare électrique et musique électronique jouée live et signée KTL, soit Stephen O’Malley de Sunn o))) et Peter Rehberg de Pita. Gisèle Vienne considère ce premier chapitre du spectacle comme « une partition interprétée à trois : les musiciens, la création lumineuse et la chorégraphie. Il s’agit de trois instruments qui jouent en tension et en contradiction. Anja se trouve dans un kaléidoscope, un espace vertigineux, un débordement de lumière. Les LEDs et la vidéo permettent des perturbations optiques très fortes, au travers de jeux de couleurs, de mouvements. Avec certaines de mes pièces comme This is how you will disappear, le spectateur avait l’impression de se trouver face à des tableaux vivants. Ici, il a une sensation de sculpture. »

Human after all

Cette première partie très plastique laisse poindre des « erreurs » : petit à petit, au bout d’une vingtaine de minutes frénétiques de ballet hyper rythmé, les contours de sa personnalité commencent à se dessiner. Son visage est marqué par les émotions et notre perception de la danseuse s’en trouve perturbée : on passe, par paliers, d’une image fantomatique à une personne incarnée, vibrante. Une femme qui vit la danse comme une échappatoire, mais ne peut fuir sa vie. En filigrane, la pièce parle de l’impossibilité d’appréhender le corps dansant comme une abstraction pure. « On ne s’affranchit jamais tout à fait de l’humain. Chez Merce Cunningham, je peux voir des lignes vertes ou jaunes, mais aussi des femmes et des hommes avec leurs défauts. Dans la peinture abstraite, on aperçoit également le coup de pinceau, le trait de l’artiste : c’est ce qui est émouvant. »

Teenage hallucination

À l’arrivée d’un garçonnet sur le plateau, une narration possible s’amorce. La femme serait une vision de l’enfant convoquant l’image de sa mère (« avec une telle force qu’elle se présente devant lui ») avant de la faire disparaître une fois pour toutes. « Quand il arrive, se développe un rapport de fascination redoublé au travers son regard », précise l’artiste franco-autrichienne. Cette maman qui rayonne lui a été notamment inspirée par l’icône (Velvet) underground Nico qui interpréta Femme fatale ou I’ll be your mirror aux côtés de Lou Reed : « Je voulais une mère impressionnante, qui irradie et va littéralement se consumer » sur le bûcher (The Pyre) de la vie. « Nous ne sommes pas dans une mise en scène de la relation entre Nico et son fils », insiste-t-elle. Pourtant, comme Ari – rejeton de la chanteuse blonde et d’Alain Delon – avec son livre L’Amour n’oublie jamais, le garçon de la pièce s’avère l’auteur d’un ouvrage où il raconte sa mère. Édité par P.O.L. et distribué aux spectateurs, la quarantaine de pages (en réalité écrites par l’américain Dennis Cooper, son complice de toujours) évoque un « personnage bipolaire à la psychologie complexe qui se serait suicidé ».

Telle une valse hallucinée, le spectacle se développe ainsi en trois temps. Il se poursuit, chez soi, avec la lecture de ce roman biographique rédigé par le jeune devenu écrivain. Avec un style déroutant, tour à tour poétique ou prenant la forme d’un journal intime, il décrit « une personne tiraillée à la fois par un élan vital extrême et des pulsions d’autodestruction. Avec son déploiement de lumière et d’énergie, la mise en scène de The Pyre traduit ces mouvements contradictoires qui, à des niveaux différents, nous animent tous et nous font vivre. »

À Freiburg, au Schauspiel, jeudi 9 et vendredi 10 janvier

+49 711 202090 – www.theater.freiburg.de

À Strasbourg, au Maillon-Wacken, jeudi 16 et vendredi 17 janvier (coproduit et présenté par Pôle Sud et Le Maillon dans le cadre du projet Dance Trip / Triptic, échange culturel dans le Rhin supérieur et de la présidence de l’Autriche du comité des Ministres au Conseil de l’Europe)

03 88 27 61 81 – www.maillon.eu

À Bâle, à la Kaserne, vendredi 24 et samedi 25 janvier

+41 61 66 66 000 – www.kaserne-basel.ch

www.g-v.fr

 

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