Fausse piste

Caterina Sagna par Gérard Truffandier

Dans une cour d’immeuble multiethnique, chacun épie son voisin, replié sur lui.  Mais tous vont se liguer contre l’arrivée d’une famille nombreuse chinoise… Tel est le point de départ de Bal en Chine, nouvelle création de Caterina Sagna clôturant sa résidence au long cours[1. Caterina et Carlotta Sagna ont été en résidence à Strasbourg, avec leur compagnie éponyme, de janvier 2012 à janvier 2013, à Pôle Sud. Lire l’article Double Je, paru dans Poly n°146] à Pôle Sud.

Quel regard portez-vous sur votre résidence à Strasbourg ?
Pôle Sud nous a donné l’occasion de ne pas simplement présenter notre travail comme nous le faisons sur de nombreuses scènes européennes, mais d’avoir la possibilité d’expérimenter de nouvelles formes de collaborations avec le public comme au sein de notre compagnie. Les ateliers que nous avons menés étaient pour chacun d’entre nous une nouveauté. Ce sont des choses rares car bien souvent, dans les demandes que nous recevons, les ateliers sont déjà préétablis. Nous avons eu, ici, une totale liberté pour expérimenter ce dont nous avions envie avec les gens qui le souhaitaient.

Quelle est la genèse de ce titre, Bal en Chine, où l’on peut déceler un jeu de mot avec le célèbre chorégraphe russe George Balanchine ?
Ce titre résume très bien l’atmosphère et le sujet de la pièce. C’est une fausse piste : Bal en Chine ou Balanchine ? Qui n’ont rien à voir… Le spectacle est aussi construit à partir d’une fausse piste qui lui fera prendre une tout autre direction que celle attendue. On parle de la Chine, mais d’une Chine qui n’existe pas, sinon dans la tête des personnages et du public.

© Gérard Truffandier

Vous poursuivez des questionnements récurrents de votre travail (la peur, la différence) en confrontant cinq personnages à une invasion chinoise, prétexte à la dénonciation des « invasions récurrentes d’une invasion supposée » ?
La pièce se passe dans un immeuble multiethnique de banlieue où il ne reste qu’une seule Française – qui s’en plaint beaucoup d’ailleurs. Les autres sont des immigrés. Son attitude, mélange de peur, notamment de la différence, est partagée par tous les personnages : deux Italiens, une Japonaise et un Allemand. Ils sont pleins de préjugés et les malentendus se multiplient tout comme les accusations, le tout avec beaucoup d’ironie pour qu’on ne se prenne pas trop au sérieux et que les choses ne deviennent trop lourdes. Le racisme que l’on peut percevoir résulte de la peur des personnages pour ce qu’ils ne connaissent pas. J’entends bien souvent les gens se plaindre à cause des autres, mais ils n’assument que rarement leurs propres peurs. Si les personnages s’accusent de leurs différences respectives, ils finissent par devenir solidaires pour attaquer une famille chinoise qui vient de louer un appartement au sous-sol. La raison de leur malaise devient cette famille louche, dont on ne sait pas très bien combien ils sont… Un écho à cette “invasion” des chinois qui est assez actuelle. Mais ils découvrent qu’il n’y en a, en fait, jamais eu dans leur immeuble. Ils n’ont personne contre qui se retourner et sont totalement perdus jusqu’à ce que l’un d’entre eux décide de combler ce vide en se transformant en petite chinoise pour le bien de tous ! On s’ouvre alors au rêve, à la possibilité de trouver le bonheur par l’imaginaire et un tas de clichés pour construire un monde idéal chinois, avec ce que les personnages en connaissent : les dragons en plastique, le riz cantonnais, les magasins “tout à 1 €”…

Ce thème n’est pas arrivé par hasard : coup de gueule sur notre manière de nous inventer des ennemis, sur nos peurs de l’autre ?
Les Chinois ne sont qu’un prétexte pour parler de cette responsabilité. Si les bases de la pièce sont politiques, le spectacle transforme ce sentiment. Même lorsque nous n’avons pas d’ennemis, il faut en trouver ! En Italie, il y a, depuis quelques années, une grande immigration chinoise. J’ai pu observer la peur de mes compatriotes, nés de l’ignorance. Ils décident que ce sont des ennemis, alors qu’ils n’en sont pas. C’est d’ailleurs un sentiment que l’on peut aussi retrouver en France, à une autre échelle. Malheureusement, ce sentiment se diffuse. Ce n’est pas seulement l’étranger qui fait peur, ou l’inconnu, mais aujourd’hui même notre voisin !

© Gérard Truffandier

Il est rare de voir des chorégraphes s’associer avec de véritables dramaturges comme Roberto Fratini Serafide. Co-signez-vous le texte ou bien les fragments que vous avez écrits ont-ils disparu de la version scénique ?
Pour Bal en Chine, nous avons décidé ensemble de l’évolution de la pièce, de sa structure. J’avais écrit des fragments, des histoires à la première personne qui étaient des essais. Tout cela a disparu du spectacle final, notamment dans le style littéraire. Les éléments principaux demeurent, mais sous la plume de Roberto. Le texte a plus de caractère et de force au service du propos.

Comment imaginez-vous ici le travail sur les corps de vos comédiens ?
Je cherche toujours des gens aux parcours, aux corps et aux personnalités très variés. Mon rôle est de les aider, les stimuler pour qu’ils trouvent leur propre façon de danser, sans que ça vienne de l’extérieur. Trouver leur intériorité et capturer les moments – et les mouvements – où je suis touché par eux. Une relation étroite se crée entre ma proposition de travail et leur état. Cette correspondante est totalement particulière car ce qui marche pour un danseur ne marche probablement pas pour l’autre. Chacun construit sa propre façon de bouger et son personnage avec son intelligence, sa technique, son propre art et sa personnalité.

Beaucoup de couleurs, des couches de kimonos et de drapés constituent une partie des costumes…
Ils sont évolutifs. Il y a un travail très pointu car au premier coup d’œil ils donnent l’impression de l’Extrême Orient. Sur scène, nous verrons leur construction, couche par couche. D’un coup, ils deviendront “chinois”. Les costumes suivent le même parcours que l’imaginaire des personnages… et leurs clichés !

À Strasbourg, à Pôle Sud, du 15 au 17 janvier
03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr
www.caterina-carlotta-sagna.org

À Besançon, au Théâtre de l’Espace, mercredi 23 et jeudi 24 janvier
03 81 51 03 12 – www.scenenationaledebesancon.fr

À Belfort, au Granit, lundi 8 avril dans le cadre du festival Y a d’l’Europe dans l’Aire (co-organisé avec MA scène nationale)
03 84 58 67 67 – www.legranit.org

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