En voir de 
toutes les couleurs

Mer (rouge) avec bateau à vapeur et deux petits voiliers, 1946 © Nolde Stiftung Seeb ll

La Magie des couleurs : le titre résume parfaitement l’esprit de cette rétrospective de la Kunsthalle Vogelmann dédiée à l’œuvre sur papier d’Emil Nolde, figure majeure de l’expressionnisme allemand.

«Les couleurs sont des vibrations comme le timbre de clochettes d’argent et le son du bronze, annonçant le bonheur, la passion et l’amour, l’âme, le sang et la mort », écrivait Emil Nolde (1867-1956). Tel pourrait être le mot d’ordre d’une présentation rassemblant quelque 80 pièces. Elle débute avec un émouvant dessin d’enfance de 1876 et plusieurs vues sans intérêt majeur, rappelant que c’est à la trentaine seulement que l’artiste fait exploser les carcans qui le corsètent. Tonalités vives, amples coulures, compositions audacieuses : ses œuvres fascinent les membres du groupe Die Brücke, auquel il appartient deux années (1906-1907). Malgré un expressionnisme débridé – avec des scènes de cabaret prises sur le vif à Berlin, femme dansante ou dîneur désabusé et des paysages oniriques du Schleswig-Holstein au pastel –, le peintre rêve de devenir la figure emblématique de l’art éminemment germanique du Troisième Reich. Même si Goebbels, un des ses plus grands fans, le protégeait, il est banni de la scène artistique, jusqu’à devenir le plus représenté à l’exposition Entartete Kunst (Art dégénéré) de Munich en 1937, avec 29 toiles. Cruel paradoxe ! En 1941, il n’a même plus le droit de peindre, réalisant alors, en cachette, ses Ungemalte Bilder (Tableaux non peints). Dans des efflorescences aqueuses se devinent, plutôt que s’expriment, des formes chimériques, reflets évanescents d’une vision du monde oscillant entre émerveillement et sentiment de tragique absolu.

Dame et deux messieurs (au café), sans date © Nolde Stiftung Seebüll

Océans tourmentés d’un bleu noir profond surmontés de nuages s’évanouissant dans le lointain horizon où, au contraire, mers d’un rouge irréel, bouquets faits de fleurs aux teintes éclatantes, visages venus de Nouvelle-Guinée pleins de contrastes rappelant les visions tahitiennes de Paul Gauguin, montagnes semblant ployer sous une éternelle neige… Partout, une palette vigoureuse s’impose au regard, souveraine maîtresse de l’espace. « Une couleur, par sa présence à côté d’une autre détermine le rayonnement de cette dernière, de la même façon qu’en musique une note gurant dans un accord reçoit sa couleur sonore de la note voisine », résume Nolde.


À la Kunsthalle Vogelmann (Heilbronn), jusqu’au 17 juin
museen-heilbronn.de

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