Dans l’ombre de ses pas

Stimultania succède à la Tate Modern de Londres en exposant le travail de Simon Norfolk autour de Kaboul. Dans Photographs from the war in Afghanistan[1. Livre de 168 pages en anglais, signé John Burke et Simon Norfolk, édité par Dewi Lewis Publishing (36 €) – www.dewilewispublishing.com] , il dialogue avec les lieux immortalisés par John Burke, entre 1878 et 1880.

D’un côté, des propriétaires terriens agenouillés sur un tapis afghan, arborant fièrement de longues barbes finement taillées. Leurs ouvriers agricoles, adossés à la bâtisse, portent d’antiques pelles à pied. Les turbans, plus ou moins soyeux, de rigueur en ce milieu de XIXe siècle où officie le photographe John Burke, laissent place, 130 ans plus tard, aux tenues de protection (casques à visières en composite, gilets à l’épreuve des éclats) et détecteurs de mines. Les troupes anglaises mènent leur quatrième guerre en Afghanistan. Simon Norfolk, à rebours des photographes de guerre embedded[2. Journalistes embarqués et transportés avec les soldats d’une armée, ainsi contraints à un certain point de vue sur les événements] sillonnant les zones de conflit et multipliant les images chocs, propose un regard social teinté de déception et de colère, qu’il place en résonnance avec celui de John Burke. En dénichant au hasard d’une visite dans les archives d’un musée anglais des dizaines de clichés de cet Irlandais qui fut le premier à parcourir ce pays avec un appareil, il découvre un opportuniste façonné par ce pays, embarquant avec les troupes de l’Empire qu’il photographie dans leurs campements. Mais ce sont surtout l’immensité de paysages montagneux, les coutumes vestimentaires, les monuments et l’architecture vernaculaire qui nous sont donnés à contempler. Une matière dans laquelle plonge Simon Norfolk.

Démineurs du Centre de Détection des Mines de Kaboul encadré par un policier allemand © Simon Norfolk
Propriétaires terriens et travailleurs des champs © John Burke

Puisant une certaine nostalgie pour les temps qui précédaient les volontés impérialistes, un romantisme quasi archéologique le poussant à retrouver les lieux des prises de vue de Burke – utilisant les cimes montagneuses pour point de repère – afin de révéler l’implacable réalité d’un pays ravagé par des dizaines d’années de conflits armés menés par les pays occidentaux. Habitants au milieu de cités en ruines, pris à la tombée de la nuit, kitsch très Bollywood d’hôtels restaurants huppés scintillants de néons, plongeoirs olympiques construits par les soviétiques dans les années 1970 croupissant sous la poussière à l’aurore tiennent tête à l’absurdité du monstrueux déploiement logistique de l’armée (ses containers à perte de vue…), notamment à Camp Leatherneck où une véritable petite ville de 30 000 habitants est sortie du sable, en plein milieu du désert. La vie ordinaire d’un pays exsangue d’extraordinaire. Le fruit de sept semaines passées à sillonner Kaboul avec un Afghan et sa voiture, sans protection d’agents de sécurité ni 4×4 blindé. Loin, très loin, de l’axe du bien et du mal.

À Strasbourg, à Stimultania du 4 octobre au 5 janvier
03 88 23 63 11www.stimultania.org
www.simonnorfolk.com


Tables rondes et rencontre avec Simon Norfolk et d’autres intervenants à Stimultania autour de la photographie de guerre, samedi 5 octobre, suivi à 18h par la projection de Dusty Night, documentaire de l’afghan Ali Hazara à la Maison de l’image (entrée libre)
www.videolesbeauxjours.org
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