La Clarté du poète

Claude Régy © Renaud Monfourny

Monstre sacré du théâtre français, inclassable et inlassable chercheur d’atmosphères, Claude Régy nous a accordé un long entretien, en pleine série d’Ode Maritime, sa dernière pièce au Théâtre national de Strasbourg.

Comment avez-vous rencontré ce texte de Pessoa ?
C’est une longue histoire qui n’est pas très passionnante. Je faisais beaucoup de stages quand j’étais jeune comédien. Deux d’entre eux sur Pessoa. Dans le premier, nous avons travaillé sur Ode Paritime. Ça m’a d’ailleurs permis de découvrir un acteur, Yann Boudaud qui travailla beaucoup avec moi par la suite. C’est une œuvre qui m’intimidait beaucoup et j’ai mis très longtemps à avoir le courage pour m’y attaquer. Car si l’on s’y attaque, il faut avoir la prétention de ne pas trahir la dimension de l’œuvre et le fait qu’avec Pessoa, c’est toujours dans la multiplicité. Donc c’est très ambitieux. C’est un peu l’idée de faire cela avec Jean-Quentin Châtelain, que je connais depuis longtemps et qui est un acteur qui a lui-même une dimension hors limite, que je me suis tout à coup décidé à le faire dans un événement comme Avignon. Il se trouve qu’à ma grande surprise, je croyais que c’était un texte difficile et un peu violent, en tout cas très subversif, et je ne pensais pas qu’il serait accueilli avec tant de bonheur. On a l’impression que cette violence soulage les gens. Comme s’ils reconnaissaient ce besoin d’illégalité et de brutalité et d’explorer en soi des choses secrètes et contradictoires. Les contradictions étant poussées jusqu’à la déchirure.

Vous avez retravaillé le texte pour l’occasion ?
C’est une habitude chez moi de monter presque uniquement des auteurs étrangers et des auteurs contemporains : Sarah Kane, Jon Fosse, Botho Strauss ou encore Peter Handke… Je m’occupe toujours de ça et en même temps j’ai pris l’habitude de toujours retravailler les textes avec les traducteurs parce qu’il y a des à priori de traduction qui ne sont pas tout à fait les mêmes. J’en ai qui me sont propres et qui rejoignent en fait les théories de Meschonnic puisque j’ai travaillé sur des textes de la bible. Il ne s’agit pas de franciser ce qu’on traduit mais plutôt de garder un espèce de parfum de la langue originale. Et il faut beaucoup travailler les rythmes, les sonorités qui sont révélateurs de sens, et parfois, dans l’écriture des poètes plus important que le sens. Comment en traduisant retrouver des équivalences de sonorités, des rencontres, des allitérations, des répétitions ? Respecter surtout les répétitions, par exemple dans Pessoa, tous les traducteurs n’obéissent pas à cette règle. Les répétitions sont alors traduites par des mots différents. On apprend à l’école qu’il ne faut pas répéter le même mot mais en poésie c’est différent.
C’est de la précision mais nous ne sommes pas dans l’adaptation. Nous avons essayé avec le poète portugais avec lequel j’ai travaillé, puisque que je ne parle aucune langue donc je travaille avec des gens pour lesquels c’est la langue maternelle. On essaie d’être au plus près, du sens mais aussi du rythme, des sonorités et de toutes les rencontres de rimes intérieures… C’est un travail d’exactitude poétique. Le portugais est plus facile que dans d’autres langues car c’est une langue latine. Souvent les mots se ressemblent et viennent de la même chose, on est relativement proches.

Claude Régy © Mario Del Curto

Pour porter ce texte, Jean-Quentin Châtelain était une évidence ?
Oui, je pense que je ne l’aurais pas fait sans lui. Là aussi, vous savez, je crois énormément au hasard. On croit que ma vie professionnelle est très organisée, mais en fait, je me suis toujours beaucoup abandonné au hasard. Et c’est des rencontres qui décident parfois. Je devais faire une pièce de Peter Handke avec Jean-Quentin et pour des raisons de production, j’ai dû annuler ce spectacle. Je lui ai donc parlé d’Ode Maritime à ce moment-là. Il a accepté. C’est la rencontre avec Avignon et René Gonzalez à Lausanne (directeur du Théâtre Vidy-Lausanne) puisqu’on l’a créé là-bas. On l’a fait mais je suis très surpris par l’accueil du public. J’aime bien la difficulté et je m’attendais à des remous alors que ça n’a vraiment pas été le cas. J’en suis très heureux et c’est bien d’être surpris.

Et ce travail avec Jean-Quentin, j’imagine que ça a été un travail de longue haleine. Pas facile pour lui d’interpréter seul ce texte, et pour vous difficile d’aller puiser en lui ce qu’il faut…
Le spectacle dure presque 2h. Nous l’avons répété 3 mois, ce qui est dans la moyenne haute des durées de répétitions habituelles. Nous avons d’abord travaillé sans le dispositif scénique, juste une ébauche, sans lumière particulière pendant 1 mois et demi. Puis à Lausanne, nous nous sommes transportés dans le décor avec les sons et la lumière pour 1 autre mois et demi. Comme vous devez le savoir, j’ai une théorie qui me fait assister à toutes les représentations car je ne pense pas que le travail soit terminé lorsque l’on rencontre le public. Je pense que justement un autre travail commence. Le public est un élément vivant qui est partie prenante dans le spectacle, qui le modifie. Et c’est là justement qu’il faut surveiller comment le spectacle vit, car ce contact vivant avec le public peut naturellement lui faire faire des progrès mais aussi le mettre en danger, c’est-à-dire aller vers des choses plus faciles. Elles satisfont l’acteur souvent et quelques fois le public. Donc je suis là tous les jours, essayant de garder une exigence forte.

Qu’est-ce que cette confrontation au public a apporté au spectacle ? Qu’est-ce qui est né depuis la première ?
Il faut gérer sa progression, et nécessairement le spectacle progresse, mais il faut surveiller qu’il ne se dégrade pas, qu’on ne trahisse pas l’écriture de Pessoa. Un comédien a en lui des possibilités très diverses d’interpréter un texte et très vite on peut retourner à des choses plus naturalistes, on peut dénaturer le vrai mystère de l’écriture de la poésie.

Le texte contient une violence à la fois littéraire et de fond dans le propos énoncé. N’est-il pas trop dur pour un comédien d’aller chercher cela en soi tous les soirs ?
C’est très très dur. D’ailleurs quelque fois le comédien se plaint car cela explore des choses dans l’inconscient, des choses secrètes que nous avons plus ou moins en nous mais qu’il n’est pas toujours confortable de mettre à l’extérieur. Encore moins de faire figure, d’épouser complètement ce que l’on est en train de dire. Il y a chez Pessoa, comme vous le savez, des poussées de masochisme extraordinaire, il y a autant de poussées de sadisme et en général cela marche ensemble. Autant de choses extrêmement inconfortables à vivre. Jean-Quentin éprouve toute la dureté de traverser ce matériau et en même temps la performance qui est celle d’un athlète, c’est à dire de dire des vers libres pendant deux heures et de faire passer tout ce qu’on pense qui est inscrit au-delà de l’écriture. Nous pensons que l’essentiel de l’écriture n’est pas ce qui est écrit, que l’essentiel de l’écriture est « une voix muette » comme le dit Jon Fosse. Que l’écriture est valable dans son impuissance à dire ce qu’elle veut dire ! Donc si l’écriture est impuissante à dire ce qu’elle veut dire, elle le suggère et les poètes savent trouver les phrases qui permettent de suggérer au-delà de ce qui est dit, voilà la grande difficulté du travail. C’est d’ailleurs ce que je vois en ce moment avec les élèves de l’école du TNS. Arriver à faire entendre l’au-delà du texte. Il faut se rapporter au moment de l’écriture et donc à l’en-deça du texte. C’est à partir de cet en-deça qu’on peut espérer aller au-delà sans s’en tenir à la ligne médiane c’est-à-dire à la ligne écrite avec son sens et son sentiment. Il faut se garder du sentimentalisme.

Ode Maritime de Claude Régy © Mario Del Curto

Un comédien seul en scène apporte forcément des propositions au metteur en scène. Quelle a été la part des siennes et des vôtres dans l’élaboration du spectacle ?
Je peux vraiment vous dire que c’est indécelable. On ne peut pas tracer un trait et c’est ce qui est beau : nous faisons un travail commun et c’est à partir de ce que l’acteur propose, ce qu’on lui propose, des corrections qu’on apporte sur ses propositions, des modifications qu’il fait sur les nôtres… Tout un échange très mystérieux qu’il est impossible de dénouer. Cela se fait avec le temps, comme une grossesse.

Vous avez tous les deux plongés dans Pessoa…
On a plongé dans ce travail et en même temps on est forcé de lire un peu l’ensemble de l’œuvre même si c’est dans son cas quasiment impossible. L’œuvre est tellement abondante et démultipliée… Mais j’ai exploré et sondé un petit peu dans l’intégralité de l’œuvre.

Parlez-moi du dispositif scénique, assez épuré, avec un quai sur le devant de la scène…
Oh, ce n’est pas tout à fait un quai. Ça y ressemble et comme la pièce a à voir avec la navigation, les gens appellent cela un quai mais ce n’est pas exactement cela.

Peut-être est-ce aussi parce que le mot « quai » revient très souvent dans le texte…
Oui, les gens superposent le texte à cela et c’est très bien qu’ils aient l’image du quai, et des différents quais, Pessoa dit être parti d’un quai avant lui-même. Donc il pense à un quai qui aurait pu exister avant le monde tel qu’on le voit sous nos yeux. Il pense à un temps antérieur à la création du monde. On démarre tout de suite très fort et cela demande donc d’extrapoler assez loin de nos territoires habituels.

Mais pour répondre à votre question initiale, je travaille toujours comme on le dit de manière épurée, même si je ne sais pas si ça a à voir avec la pureté mais bon… en tout cas ce sont toujours des espaces abstraits qui ne représentent rien. Là c’est une courbe où les gens ont voulu voir une vague. Il se trouve que par la lumière il y a diverses colorations : du vert, des bleus, des ambres qui peuvent faire penser à l’océan dans différentes lumières mais nous n’avons pas pensé à représenter une vague comme le croit le public, ni l’océan. Devant ce creux, cette courbe, il fallait surélever l’acteur pour exalter sa présence. Le rapprocher du public. Donc on a fabriqué un espèce de promontoire avec des gardes fous pour qu’il ne tombe pas. Il est très avancé, très près du public donc on supprime les premiers rangs. On a d’ailleurs aussi supprimé le deuxième balcon pour garder une proximité très grande avec l’acteur, ce qui est tout à fait important à mes yeux. Cela sera remis en question au Théâtre de la Ville quand nous jouerons à Paris. Mais l’exercice est intéressant, passer de 200 à 600 places. C’est une sorte d’avancée qui vient vers le public, et qui donne une présence très rapprochée et très forte qui va vers le gros plan. J’essaie toujours dans mes spectacles de faire en sorte qu’ils se jouent dans la salle sans aucune division entre la scène et elle. Le dispositif est de cet ordre là et donc pas la recherche de représenter quelque chose ni l’idée de faire un beau décor.

Vous demandez beaucoup au public, faisant confiance en sa capacité. C’est une posture clé de votre travail ?
Je ne suis pas le seul. J’ai rencontré des écrivains comme Harrower et bien d’autres qui le pensent. C’est une idée tout à fait fausse de penser qu’au théâtre on construit un objet tout à fait admirable, qu’on le met dans une boîte comme un présentoir et puis un public de l’autre côté dans une salle elle-même décorée de manière variable et que cette séparation permet au public d’assister de manière passive à quelque chose d’admirable. Nous faisons en sorte que l’acteur soit très proche du public, qu’il soit dans le même lieu et, bien sûr, il s’agit pour le public de créer, de recréer et d’écrire lui-même, d’interpréter et de représenter lui-même ! Ça a l’air aberrant car personne ne croit ça. J’étais très content de voir ça dans une pièce de Peter Handke du temps où il écrivait, à ses débuts, des pièces uniquement parlées : elle s’appelle Introspection en français, et la dernière réplique c’est : « Je suis venu au théâtre, j’ai vu cette pièce, j’ai joué cette pièce, j’ai écrit cette pièce. » Le spectateur devient acteur, le spectateur devient auteur. Et il faut qu’il fasse tout ce chemin à l’envers, c’est-à-dire de remonter au moment de l’écriture et qu’il ait l’impression d’être en train de créer et s’il ne crée pas, on fait de notre côté tout pour que les choses se passent. Mais si le public ne veut pas inventer, ne veut pas créer, ne veut pas voyager avec son imaginaire, tant pis pour lui, on ne peut rien pour lui ! Après, il dira que le spectacle est ennuyeux et il oublie de penser que c’est lui-même qui n’a pas fait son travail.

Pour Ode maritime, le public doit accepter de se laisser emporter, charrier par cette langue…
Bien sûr. Mais plus que d’accepter, tel que l’on a travaillé, je pense qu’il s’agit que les gens prennent conscience de comment ces choses-là peuvent naître et comment elles peuvent trouver une forme écrite qui peut l’exprimer et nous atteindre dans la même image. C’est pour cela que je vous disais que j’étais très étonné de voir que le public acceptait ça dans son ensemble avec une sorte de bonheur et de reconnaissance. Là, tout à coup, les difficultés et les choses violentes et difficiles à supporter n’avaient l’air de gêner personne. À Lausanne comme à Avignon qui sont deux publics forts différents. Nous ne l’avons plus joué depuis Avignon et il ne sera repris qu’ici en janvier, puis en tournée jusqu’à fin mai donc nous verrons. Il est vaguement question d’aller au Japon en juin et à Lisbonne en juillet. Une très longue exploitation donc il va falloir faire vivre ça et voir si on peut aller plus loin tout en restant dans les limites où on ne trahisse pas l’écriture de Pessoa.

Est-ce que vous pensez que, huit décennie après la mort de Pessoa, l’évolution du monde fait que ce texte peut résonner autrement aujourd’hui ?
Je pense qu’il résonne plus fort aujourd’hui ! C’est très étrange que lui-même dise que satisfaire sa vie ne l’intéressait pas du tout, qu’il ne s’en préoccupait pas. Ce qu’il voulait c’est que sa vie soi grande ! Il a écrit d’ailleurs dans Le Livre de l’intranquillité que, peut-être, un jour, il serait reconnu mais de son temps, à part un peu de remouds fait par des revues, quelques avant-gardes teintées de futurisme qui parlèrent d’un jeune homme un peu fou, folie qu’il a revendiquée, mais ses œuvres n’ont pas été publiées. Quand il a voulu avant sa mort, juste à la fin de sa vie, publier un livre, c’est Message qui n’est pas un livre facile. Il a donc eu extrêmement peu de lecteurs. Sa vie a été un échec permanent et très cruel car on sait qu’à la fin il en avait assez de traduire des lettres commerciales, ce qu’il a fait toute sa vie pour la gagner. Il a vu une annonce d’une ville recherchant un bibliothécaire. Il a posé candidature et a reçu une lettre de refus. Même ça ! Il a tenté de publier en Anglais mais ça n’a pas non plus intéressé les éditeurs.

Claude Régy à Paris, le 104, avril 2009

Cette vie d’échecs permanents est intéressante car en même temps il a laissé toutes ses notes avec tous ses hétéronymes qui forment une œuvre monumentale dans une malle. Après sa mort, des passionnés l’ont ouverte et on commencé à décrypter ça. Ode Maritime a été publié de son vivant dans une revue donc on sait que c’était sous cette forme là mais Le Livre de l’intranquilité, il n’a jamais dit comment il voulait l’organiser donc les éditeurs ont fait plusieurs éditions. Mais c’est un peu comme Woyzeck. C’est une œuvre malléable qui n’est pas arrêtée et dont les propositions sont très intéressantes mais pas forcément ce que l’auteur voulait en faire. Dans ses œuvres, il y a des mots illisibles, des mots rayés et beaucoup d’inachevés comme par exemple son Faust. C’est à la fois colossal, pas fini et complètement ouvert, d’une ampleur fabuleuse, rarement atteinte. Il s’est forcé à écrire sous plusieurs formes avec les histoires des hétéronymes. Cela dit, dans l’Ode maritime, il est assez facile de voir que quelques fois il oublie l’hétéronyme et l’enfance qu’il décrit au bord du Tage, n’est pas l’enfance de De Campos. C’est sa propre enfance avec la sœur de sa mère qui lui chantait des chansons pour s’endormir.

Cet appel à une vie et un voyage intérieur profonds porte en son sein un message philosophique et politique en rupture avec notre société de la consommation… Je pense qu’il est absolument essentiel de maintenir le monde de l’imagination, de maintenir l’invention et dans l’industrie culturelle la rentabilité est une absurdité et une sottise. On sait très bien que l’esprit atteint les gens au-delà des œuvres elles-mêmes, qu’elle atteint beaucoup plus de gens que ceux qui étaient nés à l’époque des œuvres elles-mêmes. Il dit une chose qui me plait beaucoup : « L’art sert d’issue à la sensibilité que l’action s’est vue obligée d’oublier. » Comme nous sommes dans l’action et dans le résultat et la rentabilité, évidemment que tout cet activisme a complètement occulté, tué et rendu inerte la sensibilité. L’art est tout à fait essentiel. Pour preuve, de toutes les sociétés passées, ne restent que les traces laissées par les arts. Les guerres ont laissées des souvenirs de grands conquérants, en général très adorés parce qu’ils ont tué beaucoup de monde, pas de quoi se vanter. Que l’art soit plus indispensable dans ces temps matérialistes que nos chefs d’état nous font vivre, c’est tout à fait important. C’est d’ailleurs pour cela qu’on attaque la culture par tous les moyens, y compris en supprimant la taxe professionnelle ce qui fait que les Régions n’auront plus d’argent à donner à la culture. Donc c’est une façon cachée et supplémentaire de détruire cette œuvre de Malraux en nommant d’ailleurs des ministres fantoches.

… soit dit au passage… (rires)
ça ne va pas arranger mes subventions ! (rires)

Quelques mots sur l’école du TNS. C’est important pour vous de continuer à transmettre ?
Ban oui parce que justement j’essaie de transmettre une forme de théâtre qui libère l’imaginaire, qui l’utilise énormément et qui est très loin du réalisme envahissant parce que la télévision est toute puissante, qu’elle a déjà dévoré le cinéma et qu’elle dévore un peu le théâtre parce qu’on fait des téléfilms et s’apprête à racheter les maisons d’édition. Même Gallimard ! On est parti pour un réalisme stupide dans les limitations inertes d’un mode de vie quotidien qu’on a déjà du mal à vivre. Il est déjà assez ennuyeux comme ça. Il n’est pas la peine que l’art s’occupe de recopier cela. Il faudrait s’occuper d’autre chose. Et comme c’est peu enseigné, en tout cas les choses sur le langage car les gens de théâtre se servent du langage mais oublient de réfléchir sur le langage. Donc je crois qu’il est important d’éveiller à ce genre de choses de jeunes gens qui veulent se consacrer à ce métier.

Quel écho vous trouvez auprès des élèves ?
Je travaille beaucoup à Rennes et à la Manufacture de Lausanne. Les jeunes générations sont souvent attirées par ce travail, souvent d’ailleurs sans le connaître parce qu’ils parlent tous d’un exemple sans avoir jamais rien vu. C’est une aura qui circule, peut-être parce que j’ai toujours été indépendant et libre de faire ce que je voulais comme je voulais.

Vous avez toujours refusé de prendre la direction d’un théâtre…
Oui mais de toute façon on ne me l’a pas proposé ! (rires) Une fois mais c’était de toute façon inacceptable ce théâtre-là ! Mais je pense que, dirigeant une maison, je n’aurai pu mener le travail que j’ai mené qui n’a été possible qu’en trouvant des producteurs différents dans des lieux différents, en volumes et en jauges. L’endroit est important pour une œuvre. Qu’on le veuille ou non, on ne peut diriger une maison et la vouer à la non-rentabilité. Alors que moi je peux ! (rires) Au bout du compte, il y a une autre rentabilité qu’on voit avec l’œuvre de Robert Bresson. Ses films ont été des échecs et finalement il reste comme le cinéaste le plus important de son époque. Donc ce n’est pas la réussite, ni la rentabilité, ni compter les spectateurs où les recettes où le nombre des représentations… c’est la force de l’œuvre qui atteint même les gens qui ne la voient pas ! Je le répète car c’est très important de travailler en dehors des murs du théâtre.

Quels sont les auteurs que vous rêvez encore de monter ?
Je pense qu’il faut être raisonnable. Ma convention actuelle s’arrête en 2010. Refaire une convention de 3 ans me mènerait à près de 90 ans. Je pense que ce n’est pas raisonnable. Il est difficile de prendre la décision d’arrêter mais je me pose la question. J’aime beaucoup l’auteur sur lequel je travaille ici avec les élèves, qui est un ancêtre de Jon Fosse : Tarjei Vesaas qui a écrit ce livre formidable qui s’appelle Les Oiseaux et Le Palais de glace. C’est un auteur de formation nordique donc tout à fait hors du rationnel. Il est branché sur les forces obscures, sur des forces magiques, des choses souterraines et un bestiaire inquiétant. Donc c’est un univers magnifique. J’ai plus ou moins promis à Rennes de faire un spectacle sur lui et de retravailler ses textes me donne envie…

Ode Maritime, au Théâtre national de Strasbourg, du 15 janvier au 4 février 2010
tns.fr
vous pourriez aussi aimer