Chevaliers de la table ronde

Christian Schiaretti et Julie Brochen, directeurs du Théâtre national Populaire et du Théâtre national de Strasbourg, débutent une vaste utopie théâtrale : monter en dix pièces le Graal Théâtre, livre fleuve autour des légendes arthuriennes. Début de la quête avec Merlin l’Enchanteur.

De Disney à Kaamelott, en passant par les Monty Python, Rohmer ou John Boorman, les légendes médiévales mêlant chevalerie, magie et conte font partie de la culture populaire et de notre imaginaire. Pour écrire leur Graal Théâtre, Florence Delay et Jacques Roubaud ont « pillé de manière poétique et totalement revendiquée toutes les sources qu’ils pouvaient », explique Julie Brochen, « mêlant leur propre prose à ce matériau dans une réécriture oulipienne et ludique ». D’autres écrivains (Georges Perec, Francis Ponge…) avaient d’ailleurs été sollicités pour participer à l’aventure, dès ses débuts dans les années 1970. L’ampleur du projet, qui dura près de quarante ans entrecoupés de quelques pauses, découragea les plus téméraires.

Photo de répétitions © Benoît Linder pour Poly

Table ronde
En juin 2011, Christian Schiaretti mettait en espace le prologue du livre, Joseph d’Arimathie, posant les premiers jalons d’une épopée théâtrale réunissant deux plus grandes maisons de la décentralisation : le TNP et le TNS. « À l’heure où l’on demande de la mesure productive, nous faisons le choix de la démesure textuelle », s’enthousiasme le metteur en scène. « Le Graal Théâtre est un paquebot monumental, échoué dans la dramaturgie contemporaine, que personne n’avait osé aborder dans son ensemble. » Pour Merlin l’Enchanteur, les équipes artistiques mais aussi techniques strasbourgeoises et villeurbannaises ont été mélangées. Sur scène, vingt et un comédiens interprètent un florilège de personnages, dirigé par un duo assumant « des sensibilités et des esthétiques théâtrales différentes », se donnant « pour règle du jeu la mise en suspicion du metteur en scène roi. » Et Schiaretti d’ajouter : « Surtout en nous plaçant nous-mêmes dans la situation de la Table ronde, où le pouvoir est aboli. Une réaction à la dimension potagère du théâtre actuel où chacun croit que ses carottes sont plus belles que celles de son voisin. On se retrouve dans des marchés relatifs, comme Avignon, pour comparer nos produits. À l’inverse, nous faisons le choix de l’humilité et de la mise en commun. »

Sacré Graal

Photo de répétition © Benoît Linder pour Poly

Merlin L’Enchanteur est une odyssée épique, fantastique et merveilleuse qui nous conte la vie et la mort d’un Merlin magicien, moqueur et insolent. Dans une langue aussi savoureuse qu’imagée, gorgée de clins d’œil et d’anachronismes, le grand enchanteur et manipulateur, « secrétaire d’état aux prédictions des aventures et à la diffusion des merveilles dans le royaume de Logres », prend sous son aile Arthur, lui permet d’obtenir Escalibour (en vieux français dans le texte), de siéger à la Table ronde mais aussi d’épouser Guenièvre. Par ses connaissances et ses incroyables talents, Merlin multiplie les révélations qu’on aura tôt fait d’oublier – il invente le pique-nique, prédit le tourisme de masse des années 1960, Stonehenge, les découvertes de Newton… – parmi la multitude d’intrigues, de personnages et de lieux (Camaalot, Avalon, Brocéliande) qui se succèdent à une vitesse folle. Il se joue aussi des puissants et, en bon stratège, explique à son protégé, un brin dépassé par l’illustre futur que Merlin s’échine à lui garantir, tout l’intérêt stratégique de son union avec sa belle. « Nous sommes dans l’amour courtois, très codifié de l’époque. Celui d’Arthur pour Guenièvre est contractuel, basé sur l’intérêt militaire d’Arthur à avoir Léodegan comme allié », explique Christian Schiaretti.

 

Trappes et attrape

Photo de répétitions © Benoît Linder pour Poly

Livre dans le livre, Merlin dicte le Graal à Blaise, scribe auquel incombe la lourde tâche d’écrire ce qui reste une énigme (qu’est ce que ce Graal ?) d’après ses indications. Tout ce beau monde croisera la route de moult chevaliers (Nabur l’impétueux, Galaad le robot éblouissant…), rois (Uterpendragon, Léodegan…) et belles, courtisanes ou promises, mais souvent dangereuses (Ygerne, Morgane…). D’autres seront précédés par leur légende comme Perceval ou Don Quichotte. L’esthétique de l’ensemble a été pensé « dans un principe d’émerveillement plus que d’érudition », admet Christian. « La tâche aurait été trop grande… » Et Julie de poursuivre : « La scénographie est une sorte de boîte à jouet unique pour l’ensemble du cycle. » Un plateau nu, sorte de pop-up géant avec des planches qui se lèvent pour former les arbres de la forêt ou qui s’ouvre pour dévoiler un lac. Entre jeu de trappes et attrapes mécanisés, apportant une dose d’onirisme, des éléments d’époque peints sur d’immenses panneaux complèteront l’ambiance créée avec les chants celtes transmis par Yann-Fañch Kemener. Pour le couple de metteurs en scène, « le rêve serait qu’on ne sache plus qui a fait quoi à la fin des dix pièces. Le résultat est de toute façon une métaphore sur le Graal. Peut-être ne le trouvera-t-on jamais… Mais le projet reste excitant. »

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 9 au 25 mai
03 88 24 88 24 – www.tns.fr

À Villeurbanne, au Théâtre national Populaire, du 1er au 17 juin
04 78 03 30 00 – www.tnp-villeurbanne.com

Projections au cinéma Star de Perceval le Gallois d’Éric Rohmer (lundi 21 mai à 19h45) et de Lancelot du Lac de Robert Bresson (lundi 14 mai à 20h), suivi d’une rencontre avec Florence Delay, Jacques Roubaud et Julie Brochen – www.cinema-star.com

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